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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/70

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— Oui, il vit, — dit Guillaume Caillet à sa fille en la serrant contre sa poitrine, — il vit… et le voilà…

Au même instant apparaît Mazurec, pâle, défait, ruisselant d’eau et soutenu par Adam-le-Diable ; soudain Aveline, au lieu de courir au devant de son époux, s’arrête et recule avec épouvante en s’écriant : — Ce n’est pas lui !…

Elle ne reconnaissait plus Mazurec ! son œil crevé entouré de contusions bleuâtres, son nez écrasé, sa lèvre fendue et gonflée, changeaient tellement ses traits naguère si doux, si avenants, que l’hésitation de la femme du vassal dura pendant quelques instants ; mais bientôt revenue de sa poignante surprise, elle se jeta au cou de Mazurec et baisa ses blessures avec une sorte de frénésie. Il répondit aux étreintes d’Aveline, en murmurant d’une voix navrée : — Hélas ! ma pauvre femme… quoique je sois encore vivant, tu es veuve…

Ces mots rappelant aux deux époux qu’ils étaient à jamais séparés par l’outrage infâme dont Aveline avait été victime et qui pouvait la rendre mère… tous deux fondirent en larmes et restèrent embrassés dans un morne et muet désespoir.

— Ah ! — s’écria Guillaume Caillet dont la rude figure ruisselait de pleurs en contemplant les deux infortunés qu’il montrait du geste à Mahiet, — pour les venger… que de sang… oh ! que de sang…

— Cette race seigneuriale, — reprit Adam-le-Diable en se rongeant les ongles avec une rage sourde, — il faut l’égorger… il faut tout tuer, tout… jusqu’aux enfants au berceau… Il faut qu’il n’en reste pas de cette race… — Puis se retournant vers Mahiet, le paysan ajouta d’un air de reproche farouche :

— Et toi, tu nous dis : Patience…

— Oui, — répondit Mahiet, — oui, patience, si tu veux venger en un seul jour… ces millions d’esclaves, de serfs, de vilains de notre race qui, depuis des siècles, sont morts écrasés, torturés, massacrés par les seigneurs ; oui, patience, si tu veux que ta vengeance soit féconde et affranchisse tes frères ! Pour cela, je t’en conjure, et