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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/49

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bataille. Aussi la pauvre enfant sentit son cœur battre d’effroi lorsqu’arrivant près de sa maison, elle vit, au seuil de la porte, la figure inquiète et courroucée de Jacques Darc. Dès qu’il aperçut sa fille, il vint vivement à elle d’un air menaçant et lui dit : — Par mon Sauveur ! est-ce à la nuit noire que vous devez ramener vos brebis ? — Et s’avançant de plus en plus irrité, la main levée sur Jeannette : — Mauvaise enfant sans vergogne ! n’avez-vous pas été batailler avec les garçons du village contre ceux de Maxey ?

Jacques Darc allait, dans sa colère, battre la coupable, lorsque Isabelle, accourant, retint le bras de son mari et s’écria : — Jacques, je t’en supplie, pardonne-lui pour cette fois !

— Soit… pour cette fois encore, je serai indulgent ; mais que ta fille ne s’avise plus d’aller garçonner ainsi ; sinon, aussi vrai que je suis son père, je la châtierai rudement ! et en attendant, elle ira ce soir se coucher sans souper…




La bergerette, désolée des reproches de son père, conduisit ses brebis à l’étable et alla se coucher sans partager le souper de la famille. Ce jeûne devait avoir des suites étranges et décisives. La faim, à l’âge de Jeannette, est surtout impérieuse ; si l’estomac est vide, le cerveau travaille doublement, ainsi que le prouvent les hallucinations des anachorètes longtemps privés de nourriture. La pauvre enfant, affligée de la rigueur paternelle, se remémora les événements de la journée, pleura beaucoup et s’endormit. Jamais son sommeil ne fut plus pénible, plus agité de rêves bizarres où se retraçaient les légendes merveilleuses que lui racontait Sybille, sa marraine. Tantôt, dans ces songes, Hêna, la vierge de l’île de Sèn, offrait son sang en sacrifice pour la délivrance de la Gaule, et debout, sa harpe d’or à la main, expirait au milieu des flammes d’un bûcher… Mais, ô surprise ! Jeannette reconnaissait ses traits dans ceux d’Hêna…

Tantôt Merlin, suivi d’un chien noir aux yeux flamboyants, appa-