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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/50

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raissait son bâton noueux à la main, sa longue barbe blanche au vent, et cherchait l’œuf rouge du serpent marin sur une grève déserte en chantant cette prophétie : « — Que la France, perdue par une femme, serait sauvée par une vierge des frontières de la Lorraine, et du bois chesnu venue… »

Puis c’était le combat enfantin de la veille, prenant des proportions colossales, devenant une bataille immense. Des milliers de soldats cuirassés, casqués, armés de lances et de glaives, pressés, amoncelés comme les vagues de la mer, ondulaient, se heurtaient, se brisaient, flot de fer contre flot de fer ; le choc des armures, les cris des combattants, les hennissements des chevaux, les fanfares des clairons, les décharges de l’artillerie, retentissaient au loin, le rouge étendard d’Angleterre écartelé de la croix de Saint-George et le blanc étendard de la France fleurdelisé d’or flottaient au-dessus de la mêlée sanglante… Une guerrière revêtue d’une blanche armure, montée sur son blanc coursier, tenait le drapeau français… et Jeannette reconnaissait encore ses traits dans ceux de cette guerrière ; sainte Catherine et sainte Marguerite, planant au-dessus d’elle dans l’azur du ciel, lui souriaient, tandis que saint Michel archange, ses larges ailes déployées, la tête à demi tournée vers elle, lui montrait de sa flamboyante épée une royale couronne d’or soutenue par les anges et éblouissante comme une étoile…

Ce long rêve, çà et là interrompu par des réveils incertains, fiévreux, pendant lesquels le songe se confondait avec la réalité dans l’esprit troublé de Jeannette, dura jusqu’au matin. Le jour venu, elle s’éveilla brisée, le visage baigné de larmes coulées de ses yeux durant son sommeil ; elle fit, selon son habitude, sa prière du matin, suppliant ses deux bonnes saintes d’apaiser le courroux de son père. Elle le trouva dans l’étable, où elle se rendit afin de conduire aux champs son troupeau ; mais Jacques Darc lui signifia sévèrement qu’elle ne mènerait plus paître ses moutons, qu’elle surveillait si mal ; son jeune frère les conduirait au pacage, elle resterait à coudre et à filer au