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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/91

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rez, vous traverserez, contrarierez ainsi tous les plans de bataille que vos rivaux lui souffleront ; vous apporterez des lenteurs calculées à exécuter les intentions de cette fille, vous les interpréterez différemment à ses vues ; vous pourrez surtout… c’est là le point capital, écoutez-moi bien : vous pourrez manœuvrer de façon à faire prendre cette enragée par les Anglais, résultat facile à obtenir, ce me semble, au moyen d’un mouvement de retraite habilement conçu où vous laisseriez la Jeanne au pouvoir de l’ennemi. Il vous est enfin possible à vous, plus qu’à nous, de la réduire à néant, en l’empêchant de gagner sa première bataille !…

— C’est évident, — ajouta l’évêque de Chartres. — Au premier échec qu’elle subit, son prestige s’évanouit, l’enthousiasme qu’elle excitait se change en mépris ; on a honte de s’être laissé prendre à un piége aussi grossier, le revirement est soudain ! Et si, contre tout espoir… je devrais dire contre toute certitude… l’assemblée canonique choisie par moi déclare Jeanne véritablement inspirée de Dieu… si le roi la met à la tête de ses troupes, la perte de sa première bataille, grâce à vos adroites manœuvres, brave Gaucourt, porte un coup mortel à cette aventurière ! Victorieuse, elle était l’envoyée de Dieu ! vaincue, elle est l’envoyée de Satan !… On procède contre elle, sous prétexte d’hérésie et de sorcellerie… alors flambe encore pour elle ce fagot que vous seriez si empressé d’allumer… Vous le voyez, le moment venu, il peut dépendre de vous de la faire brûler ou de la laisser prendre par les Anglais, qui l’occiront. Pourriez-vous donc hésiter, le cas échéant, à demander au roi le commandement de sa bonne ville d’Orléans ?

— De fait, — reprit Raoul de Gaucourt d’un air méditatif, — cette vachère ordonne, je suppose, une sortie contre les assiégeants ? on baisse le pont, cette endiablée s’élance, quelques-uns des nôtres la suivent… je donne le signal de la retraite, mes gens se hâtent de rentrer dans la ville, le pont est relevé… la ribaude reste au pouvoir de l’ennemi !…