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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/106

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heures par jour au milieu du monde enchanté de l’imagination ; le reste du temps… j’espère… qu’est-ce que je dis ?… je vis dans la certitude de nager, un jour ou l’autre, demain peut-être, en plein Pactole, j’en jure par le Styx et par la tête de mes libraires. C’est donc maintenant moi qui suis le riche, l’heureux, le millionnaire, et pardieu ! je ne te laisserai pas te désespérer ainsi… Ce matin, tu étais feu et flamme, te voilà de neige et frimas, pourquoi ? pour une nouvelle qui, fût-elle vraie, se borne à ceci : qu’il se trouve peut-être un obstacle sur ton chemin ? Allons donc, Robert, je ne te reconnais plus…

— Ni moi non plus, — reprit le comte avec abattement.— Ah ! le malheur fait douter de tout…

— Avec ces découragements-là, — s’écria le poëte, — sais-tu où l’on va ?…

Puis s’interrompant, il ajouta d’un ton grave et pénétré qui ne lui était pas habituel :

— Écoute, Robert, si je te croyais capable de vivre de très-peu en attendant le moment où, grâce à tes anciennes relations et à quelques protections de famille, tu pourrais obtenir un modique emploi… je te dirais : Que l’avenir ne t’inquiète pas, partage avec moi… l’excessivement peu dont je vis ; avant un mois ou deux tu seras casé dans quelque coin avec une bonne petite place de douze ou quinze cents francs… modeste, mais assurée… alors je…

— Écoute, à ton tour, Balthazar… — dit Robert, en interrompant son ami, — élevé dans le luxe et dans l’oisiveté, j’ai pris l’habitude de satisfaire à tous les goûts dispendieux, à tous les caprices d’une opulence prodigue. Je suis ignorant, paresseux et fier… j’aime dans la richesse, non-seulement les délices qu’elle donne, mais encore toutes les jouissances que l’orgueil en retire ; en un mot, j’aime autant à jouir… qu’à tenir mon rang ; oui, car à tort ou à raison, je crois qu’un homme de ma naissance doit vivre autrement qu’un autre, qu’il doit représenter… comme on dit, et porter splendidement son nom ; voilà pourquoi, tant que je l’ai pu, j’ai mené la vie d’un grand seigneur… À cette heure, me voici ruiné, criblé de dettes ; eh bien ! je te le dis brutalement, je suis incapable de gagner ma vie par mon travail… D’abord à quel travail serais-je propre ? À au-