Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Partez donc, Robert, puisqu’il le faut… mais… je vous le jure par le souvenir sacré de ma mère… le temps, la distance ne me feront jamais oublier la promesse solennelle que je vous fais aujourd’hui de n’être jamais qu’à vous… Le jour où je croirai le moment opportun… je vous dirai venez… et vous viendrez… je le sais. »

— Ce langage est touchant… Cette promesse est formelle… — dit Balthazar avec émotion. — Et étant donné le caractère ferme, loyal, chevaleresque, de Régina, elle tiendra évidemment ce qu’elle a promis.

— Oh ! il le faudra bien… — s’écria Robert avec une sorte de ressentiment amer, — mon avenir repose sur cette seule espérance.

Balthazar garda quelques moments le silence.

— Qu’as-tu ? — lui dit Robert de Mareuil.

— Vraiment, — reprit le poëte, d’un ton pénétré, — Régina est une noble créature ; mais reprenons l’avant-scène… Le baron emmène sa fille vivre au fond d’une terre dans le Berri. Tu oublies vite ton premier amour, et fidèle au budget dont tu m’avais posé les chiffres, tu y appliques joyeusement la fortune que t’a laissée ton père… tout a une fin… même les héritages… Ta fortune à sec, les emprunts à bout, tu apprends que Régina, grâce à un héritage imprévu, se trouve riche de trois millions environ ; tu te rappelles alors la promesse solennelle de ton amie d’enfance… Maintenant… dis-moi franchement : Te sens-tu absolument dégagé de toute affection passée et à venir pour Régina ? Jouer le jeu que tu vas jouer… cela demande du sang-froid… Je dirai même qu’il faut pour cela l’égoïsme inflexible de l’homme d’affaires ; car tu ne dois pas te le dissimuler, c’est une affaire, une excellente affaire que tu veux faire… Rien de plus, rien de moins… si tu réussis, je te dirai plus tard mon opinion personnelle là-dessus.

— Comment ? — s’écria Robert, — explique-toi.

— Nous parlons maintenant au point de vue… dramatique, et non pas au point de vue… moral… pardon du mot… Une position difficile… presque désespérée (c’est la tienne) et des caractères étant donnés, nous tâchons de trouver les moyens de dénouer heureusement