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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/112

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cette position diabolique… En cela, tu cherches à faire, je te le répète, une excellente affaire ; moi je cherche à faire de la comédie d’intrigue… Il n’est donc pas question de morale là-dedans…

— Trouves-tu que j’agisse d’une façon déloyale ? — s’écria Robert.

— Allons donc !… tu es ruiné… criblé de dettes. Une jeune fille, belle et riche, t’a promis d’être à toi, tu viens réclamer sa promesse. Sur cent personnes, quatre-vingt-dix-neuf et demie agiraient comme toi… Sois donc tranquille ; au point de vue du monde… tu es pur, sans tache, comme l’agneau pascal…

— Mais à ton point de vue… à toi ?

— À mon point de vue… à moi ?

— Oui…

— Curieux !!

— Sois franc, tu n’agirais pas comme moi, Balthazar ?

— Peut-être…

— Tu me blâmes ?

— Mais je t’aide… parce qu’il s’agit pour toi, je le sais, d’une question de vie ou de mort, — dit gravement Balthazar.

— Tu me blâmes… et tu m’aides ; pourquoi cette contradiction ?

— Une contradiction ? — s’écria le poëte, en reprenant sa bonne humeur ; — au contraire… c’est une fusion… un accord parfait… En te blâmant, j’obéis à mon opinion personnelle ; en t’aidant, je partage l’opinion du plus grand nombre.

— Toujours bizarre.

— Que veux-tu… Robert… un poëte… c’est une si drôle de chose…

Quoiqu’elle fût passive, je sus gré à Balthazar de cette protestation contre les projets de Robert de Mareuil ; j’écoutai la fin de l’entretien de mes maîtres avec une inquiétude croissante.

— Continuons notre exposition, — répondit Balthazar. — En apprenant l’héritage inespéré que vient de faire Régina, tu apprends, en outre, qu’elle est très-malheureuse chez son père… car elle n’est pas, dit-on, sa fille… Le baron, quoique des années se soient passées