Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ah çà ! il se fait tard, notre exposition est clairement posée, nous tenons nos personnages… À demain l’action.

 
 
 

Chose étrange : autant Balthazar, une fois emporté par ses incroyables imaginations, se laissait follement aller aux rêves qu’il faisait tout éveillé, autant, quand il entrait dans les voies de la vie pratique, il se montrait bon, généreux, sensé ; il n’offrait plus alors à son ami de partager avec lui ce Potose, ces bains d’or, ces galions et autres fantastiques rémunérations qu’il attendait de ses œuvres, et qu’il reçut plus tard ; il offrait à son ami tout ce dont il pouvait raisonnablement disposer : son modeste logis, son pain et les fécondes ressources de son imagination. J’avais aussi vu avec une satisfaction profonde, que malgré sa vive amitié pour Robert de Mareuil, le poëte mettait de sévères limites à son dévouement, je le croyais d’autant plus incapable de se rendre complice d’une action indigne contre Régina, qu’il ne prêtait pas sans quelques scrupules son concours aux projets de mariage de Robert de Mareuil. L’accent résolu, froid, de celui-ci, en parlant de ses projets de suicide, m’avait convaincu de la sincérité de sa détermination ; je l’avoue, si je ressentis une sorte de pitié pour cet homme, elle fut dépouillée de tout intérêt, de tout sentiment sympathique… Cette inertie, cette lâche résignation qui préférait la mort au travail, sans l’avoir seulement tenté, cet aveu d’une cynique franchise que la vie lui serait même impossible avec douze ou quinze mille francs de revenu… cette prétention aussi insolente que malheureusement réelle de ne pouvoir accepter qu’une existence de millionnaire ; tout ceci, je le répète, m’avait d’abord soulevé de dégoût, de mépris et d’indignation contre ce malheureux.

Mais me rappelant bientôt les enseignements de Claude Gérard, enseignements remplis de mansuétude et de sagesse, je songeai à l’éducation qu’avait reçue Robert de Mareuil, éducation dont la scène enfantine, autrefois passée dans la forêt de Chantilly, m’avait donné un spécimen. Je songeai à ce qu’il y a d’inévitablement funeste dans cette pensée commune à presque tous ceux qui doivent, non à leur