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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/116

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jusqu’à moi, non plus joyeuse ou émue par l’affection, mais ferme, sévère, presque indignée.

— Je ne te crois pas… — disait-il à Robert de Mareuil, — je ne veux pas te croire.

— Écoute-moi… Balthazar.

— Je te dis, Robert, que tu te calomnies… car tu es incapable d’une action si noire. La plus indigne trahison de mademoiselle de Régina de Noirlieu… ne t’excuserait pas !

— Et l’extrémité à laquelle je serais réduit n’excuse-t-elle pas tout ? — s’écria Robert, — oublies-tu… ma position ?

— Je l’oublie si peu, Robert, que cette position peut seule étouffer en moi des scrupules dont je ne te veux pas parler… et c’est déjà beaucoup… mais aller au delà… Jamais ! malgré ma vieille amitié pour toi, malgré mon dévouement dont tu n’as pas le droit de douter… je ne te reverrais de ma vie, si…

Robert de Mareuil, interrompant le poëte par un éclat de rire contraint, qui me parut même presque convulsif, s’écria avec une gaieté que je crus aussi factice que l’éclat de rire :

— Comment, innocent poëte dramatique que tu es, collaborateur par trop naïf, tu ne te rappelles pas que tout à l’heure tu m’as dit toi-même : « C’est le plan d’une haute comédie, peut-être d’un drame que nous allons tracer !… » Eh bien ! je voulais tout bonnement te montrer que je pouvais trouver ma petite scène dramatique tout comme toi… et tu as été ma dupe… et tu auras cru sérieusement que je serais assez indigne pour… Allons donc, Balthazar, je me fâcherais, si nous n’étions pas de si vieux amis.

En parlant ainsi, l’accent de Robert de Mareuil devint si naturel, si convaincu, que je fus tenté de croire à la sincérité de ses paroles. Balthazar, lui, n’en douta pas un moment, car il s’écria, d’un ton moitié joyeux, moitié fâché :

— Que le diable t’emporte ! Robert, ou plutôt que le diable m’emporte, car, après tout, c’est moi qui ai été assez sot pour te croire capable d’une atrocité… Tu te moquais de moi… tu as eu raison…