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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/174

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pris alors par le bouvier les détails de ma rencontre avec lui : le tintement des clochettes que portaient quelques-unes de ses vaches ayant probablement attiré mon attention, je me dirigeai du côté de ce troupeau, et je l’accompagnai pendant assez longtemps, rendant même quelques services au bouvier avec un instinct purement machinal, en aidant ses chiens à conduire son bétail. Cet homme eut pitié de moi ; il me prit pour une idiote dont on avait voulu se débarrasser en l’abandonnant et en la perdant ; à la couchée, il me fit donner à souper et une bonne litière dans l’étable : au point du jour, je fus sur pied ; malgré la neige qui tombait avec abondance, je suivis courageusement le bouvier. Plusieurs jours se passèrent ainsi, pendant lesquels, à la croissante surprise de mon protecteur, mon hébétement se dissipa peu à peu ; ma raison commençait à se remettre de son violent ébranlement ; enfin la veille, je crois, de notre arrivée à Limoges, après une nuit passée dans un profond et lourd sommeil, je m’éveillai complétement revenue de cette longue aberration. Ma première pensée fut de m’écrier, presque machinalement, en regardant autour de moi : — Bamboche ? Martin ?… Puis seulement alors j’eus vaguement conscience de ce qui m’était arrivé, tout étonnée de me trouver seule couchée dans une étable… Entre ce réveil de ma raison et l’instant du meurtre de Bamboche, il existait une lacune que je tâchais en vain de combler ; le bouvier entra et me dit : — Allons, en route, petite. — Je lui demandai ce qu’il me voulait, comment je me trouvais dans cette étable, et je lui racontai (sauf quelques détails) l’aventure qui m’avait rendue sans doute folle d’épouvante ; la commisération de ce digne homme augmenta, et il me dit comment il m’avait rencontrée et regardée comme une idiote abandonnée. Je sus de lui que je me trouvais alors à trente ou quarante lieues de l’endroit où Bamboche avait été tué, (je le croyais mort) et où tu avais sans doute été arrêté, Martin. Malgré la pitié que je lui inspirais, le bouvier ne pouvait me garder à sa suite ; son commerce forain le conduisait d’une province à une autre, et, son troupeau vendu, il devait acheter des mulets dans les environs de Limoges. — Je ne peux pourtant pas, petite, te laisser comme ça sur le pavé, — me dit-il ; — l’hôtesse chez qui je loge ordinairement dans mes