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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/173

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Bamboche, avec sa verve cynique, railleuse, et son éducation de prison, alimentée par une foule de lectures bonnes ou mauvaises, parlait le langage qu’il devait tenir, et son geste trivial, ses façons grossières ou violentes ne démentaient en rien ses paroles ; mais, chez Basquine, d’où venait cette harmonie si complète entre la distinction de ses manières et celle de son langage ? Comment avait-elle pu désapprendre à ce point les enseignements vulgaires, ignobles, obscènes, de la mère Major, de la Levrasse et du paillasse, horribles enseignements dont la corruption avait infecté son enfance ?

Ce mystère dont j’étais vivement préoccupé devait bientôt s’expliquer.

— Tu vas entendre Basquine, — me dit Bamboche, — tu verras ce que la pauvre petite a souffert… Auprès d’elle… je menais en prison une vie de sybarite.

— J’ai toujours subi le malheur avec résignation… — dit Basquine ; — mais l’humiliation, le mépris… l’insulte, oh ! c’est de cela… que j’ai le plus souffert.

Après un moment de silence, Basquine reprit :

— Écoute, Martin, et tu verras que nos destinées, sans doute diverses, sont du moins pareilles en misères… Bamboche te l’a dit, en le voyant tomber sous le coup de pistolet du cul-de-jatte, l’épouvante me rendit à peu près folle ; je pris la fuite en criant au secours !… à l’assassin !… Le cul-de-jatte me poursuivit sans doute pour me tuer aussi… mais la frayeur me donna une telle célérité, qu’échappant au bandit, je me jetai dans un taillis, où il perdit mes traces. Ces souvenirs sont pour moi très-vagues, car l’épouvante troublait complétement ma raison ; je passai la nuit blottie dans ce taillis. Au point du jour, je sortis et marchai à l’aventure ; il paraît que je rencontrai dans la campagne un bouvier qui conduisait son troupeau à la foire d’hiver de Limoges.

— Comment : il paraît que tu rencontras ? — dis-je à Basquine, surpris de cette expression dubitative.

— Je dis : il paraît, mon bon Marin, parce que c’est seulement plusieurs jours après cette rencontre, que je sortis peu à peu de l’hébétement où m’avait plongée la vue du meurtre de Bamboche ; j’ap-