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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/176

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bord un courrier vêtu de rouge, magnifiquement galonné d’or ; il précédait de peu de temps plusieurs voitures appartenant, selon ce que j’entendis dire autour de moi, au milord-duc de Castleby, grand seigneur irlandais, immensément riche, voyageant avec une suite nombreuse. Il avait séjourné pendant deux jours à Limoges, et ses cuisiniers étaient partis la veille au soir avec deux fourgons remplis de provisions pour aller préparer son repas dans la ville où il devait passer la nuit.

— Quel luxe ! — m’écriai-je.

— Cela n’était rien, mon pauvre Martin, — reprit Basquine, — le matin même un autre fourgon rempli d’un mobilier portatif, accompagné d’un valet de chambre tapissier, devançait ce haut et puissant seigneur qui trouvait ainsi à son arrivée dans toutes les auberges, plusieurs chambres meublées de la manière la plus splendide et la plus commode.

— Tant de prodigalités, c’est à n’y pas croire…

— Le gaillard entendait la vie, — dit Bamboche.

— Et que dirais-tu donc, mon bon Martin, — reprit Basquine, — si je te parlais d’une espèce de voiture qui terminait la suite du duc de Castleby, et où se trouvaient deux chevaux de selle[1], avec leurs palefreniers, car il se pouvait que monseigneur eût la fantaisie de faire une partie de la route à cheval.

— Faire voyager des chevaux en voiture ? que dis-tu de cela, Martin ? — me demanda Bamboche.

Et comme je regardais fixement Basquine, croyant qu’elle se jouait de ma crédulité, elle reprit d’un ton sardonique :

— Sans doute ces prodigalités étaient folles, mais le duc de Castleby jouissait de près de quatre millions de rentes en terres, et quelqu’un de sa suite me disait plus tard, que bien des fois il avait vu en Irlande, dans les domaines de sa seigneurie, des familles entières de paysans rester nues sur la paille pourrie de leur tanière, pendant

  1. Ces sortes de voiture s’appellent des caravanes ; elles sont conduites en poste et servent au transport des chevaux de course ou des chevaux de chasse lorsqu’on veut leur éviter les fatigues d’une longue route.