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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/180

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luxe, une recherche dont il est difficile de se faire une idée ; tous les jours je montais en voiture avec miss Turner, et nous nous rendions dans un parc réservé, où je pouvais courir et jouer à des jeux de toute espèce. Souvent aussi miss Turner me faisait monter sur un petit cheval, doux et apprivoisé comme un chien ; la fille du plus grand seigneur ne pouvait, je crois, avoir une existence comparable à la mienne.

— Et tu n’avais pas encore vu le milord-duc ? — lui dis-je.

— Non. Je ne lui fus présentée que trois semaines environ après notre arrivée au château, résidence toute royale, j’oubliais de te le dire, et si admirablement située au milieu d’un des plus beaux sites du midi de la France, que la température y était, disait-on, aussi douce qu’à Hyères ; c’est là que milord-duc passait souvent une partie de l’hiver.

— Mais pourquoi tardait-on ainsi à te présenter à cet homme ? — demandai-je à Basquine.

— On attendait l’arrivée de plusieurs caisses d’habillements composant un magnifique trousseau, commandé pour moi à Paris, chez les meilleures faiseuses… Avant de poursuivre, je dois te dire, Martin, que miss Turner était une personne de manières accomplies, et qu’elle m’avait sans cesse reprise avec douceur et fermeté sur les manques d’usage et sur les grossières expressions qui m’étaient familiers. Je m’étudiais, pour lui complaire, à observer ses recommandations. La veille du jour où je fus présentée au duc de Castleby, miss Turner me dit : — « Vous voilà presque une petite lady accomplie, pour les manières et pour le savoir-vivre ; j’espère que Monseigneur sera très-content de ce que vous avez si bien profité de mes leçons. » Le jour de la présentation arriva. Si j’entre dans quelques détails sur ma toilette, mon bon Martin, c’est non par coquetterie, mais parce qu’elle avait, d’après les ordres du duc, un caractère enfantin très-prononcé : mes cheveux séparés au milieu de mon front tombaient en grosses boucles sur mon cou et sur mes épaules ; j’avais les bras nus et une robe de magnifique mousseline des Indes brodée, avec un pantalon pareil, des bas de soie blancs à jours et de petits souliers de satin noir ; à force de m’entendre répéter par miss Turner et sa