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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/186

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dans une petite trompette de fer-blanc. Ce fut ainsi qu’il fit le tour de la rotonde, en cavalcadant sur son cheval de bois.

— Heureusement c’était un fou ! — m’écriai-je en respirant après un moment d’horrible angoisse.

— Un fou ? — dit Basquine en me regardant ; — puis elle ajouta, en échangeant un regard avec Bamboche, — oui, mon bon Martin. c’était un fou…

Et après un instant de silence, Basquine reprit :

— Milord-duc, car c’était lui, se laissait en effet aller parfois à des… manies qui touchaient à la folie. Ma première impression, à la vue de ce vieillard, grotesquement vêtu en enfant de dix ans et jouant comme un enfant de cet âge, fut d’éclater de rire… Mais ce rire n’ayant aucun écho dans cette profonde et sinistre solitude, car milord-duc ayant cessé sa cavalcade, était descendu de cheval, et, muet, impassible, me couvait de ses petits yeux bleu-clair, qui luisaient au milieu de sa figure d’un rouge de sang, l’épouvante me gagna de nouveau et atteignit bientôt à son comble, car ce qui m’avait d’abord paru si bouffon, me semblait alors de plus en plus effrayant, je me mis à pleurer et à pousser des cris aigus.

— Et cela était effrayant, en effet, — dis-je à Basquine : — il me semble faire un rêve horrible…

— Il fallut, — reprit elle, — les paroles affectueuses, paternelles du milord-duc (il parlait très-bien français) pour me calmer et me remettre en confiance… Lorsqu’il me vit rassurée, changeant aussitôt de ton et sans faire la moindre allusion à la manière dont il m’avait fait recueillir sur la grande route, et aux soins que depuis l’on avait eus pour moi, il me dit en affectant le zézaiement d’une prononciation enfantine : — « Tu m’appelleras Toto, tu me tutoieras, nous allons faire la dînette… Tu as là une bien belle poupée !… Oh ! mais moi aussi j’ai de beaux joujoux… je te les ferai voir, mais faisons d’abord la dinette… »

Et comme je regardais Basquine d’un air stupéfait, pouvant à peine croire ce que j’entendais, elle reprit avec son sourire sardonique :

— Et Toto, duc et pair d’Angleterre, jouissait naturellement dans