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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/187

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le monde de toute la considération, de toute l’autorité qu’imposent un grand nom et une fortune immense… De plus, comme il avait daigné représenter son pays dans je ne sais quelle ambassade de cérémonie, deux ou trois souverains l’avaient bardé de leurs plus beaux cordons… Du reste, — ajouta Basquine avec un redoublement d’ironie, — lorsqu’il n’était pas habillé en Toto, milord-duc avait l’air respectable et sévère. Par hasard, je le vis un soir se promener dans sa galerie bras dessus bras dessous avec l’archevêque de la ville voisine, car milord-duc était fort bon catholique… et chaque dimanche on disait la messe au château ; le duc, te dis-je, marchait le front haut et fier, portant un grand cordon bleu sur son gilet blanc et une plaque de diamants sur son habit noir… Et vraiment, dans ce grand seigneur… je n’aurais jamais reconnu Toto, avec qui j’avais fait ma première dînette.

— Ah ! si l’on pouvait, pour les voir en dedans, retourner la peau de bon nombre de respectables vieillards, surtout parmi les vieux roués politiques, la pire espèce de dépravés ! — dit Bamboche, — que de Toto on trouverait sous ces masques austères !

— Pour revenir à ma première dînette, — reprit Basquine, — nous la fîmes dans le petit ménage d’or, après avoir préparé ce dîner en miniature dans les casseroles d’argent sur le réchaud à l’esprit-de-vin. Bientôt, chose assez étrange, les goûts et la gaieté de mon âge reprirent le dessus ; je finis par m’amuser beaucoup de ce passe-temps ; mon camarade Toto se montrait fort expert dans cette cuisine enfantine. Immédiatement après la dînette, Toto me fit voir ses joujoux ; il y en avait d’admirables… et de singuliers… de véritables merveilles de mécanique. Ils avaient dû coûter des sommes considérables. Mais soudain, Toto, s’interrompant au milieu de son exhibition, me dit d’un air désolé : « — Voilà bientôt trois heures, bobonne va venir me chercher pour ma leçon, c’est ennuyant ; à demain, pas vrai ? » — Telle fut ma première entrevue avec milord-duc, car, ayant sans doute tiré une sonnette invisible, la porte masquée par laquelle j’étais entrée, s’ouvrit, Corso y apparut, et, sur un signe de son maître, m’emmena par le même chemin que j’avais suivi pour venir, puis il me remit aux mains de miss Turner, qui m’avait atten-