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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/188

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due en dehors de la porte de l’appartement particulier de milord-duc. Lorsque, encore tout étonnée, je racontai ces étrangetés à miss Turner, elle y coupa court en me disant sévèrement : « — Une fois pour toutes, Mademoiselle, pas un mot de tout cela, ni à moi, ni à personne, ou vous perdrez toutes les bontés de Monseigneur. » Cette première dînette ne fut que ridicule, — reprit Basquine, — mais le ridicule préludait à l’horrible.

 
 

En effet dans ma naïveté j’avais dit à Basquine : — Cet homme est un fou… — La suite de notre entretien, que ma plume se refuse à rapporter, me prouva que cet homme était un de ces monstres conduits à d’effroyables monomanies, et par la satiété, et par le précoce abus de tous les plaisirs que peuvent procurer d’immenses richesses acquises sans labeur, dès l’adolescence, par le fait seul de l’héritage.

 
 
 

— Du reste, — continua Basquine, — ma gouvernante miss Turner, semblant complétement ignorer ce qui se passait, toujours réservée, impassible, s’occupait de mon éducation avec une persévérance, avec un zèle résultant de son obéissance aux ordres de son maître. Miss Turner m’apprit donc à lire et à écrire : excellente musicienne, elle cultiva et développa mes dispositions naturelles pour le chant, m’enseigna le piano, le dessin, l’histoire, la géographie ; j’aurais été, comme elle Le disait, la fille du milord-duc, que mon éducation, je crois, n’eût pas été suivie avec plus d’intelligence et plus de soin.

— Ce qu’il y a d’affreux, — m’écriai-je, — c’est de faire tourner une action généreuse en soi à l’accomplissement des plus monstrueux caprices… de faire marcher ainsi de front le développement de l’esprit… et la plus exécrable souillure…

— En effet, — reprit Basquine, — tandis qu’une moitié de ma vie se passait dans l’étude et dans une sorte d’austérité, car miss Turner ne se départait jamais à mon égard de son extrême réserve,