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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/190

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professeur de chant et de composition, qui avait, pour ainsi dire, créé les artistes les plus remarquables de cette époque, et dont les œuvres sont maintenant populaires. Mais, à propos de cet artiste, — ajouta Basquine en souriant doucement, — apprends, mon bon Martin, un trait qui t’épanouira le cœur, qui te reposera un moment de toutes les sinistres choses qu’il me faut te conter… Aux yeux de l’artiste dont je te parle, excellent et digne homme s’il en fut, je passais pour la fille adoptive du duc, car je serais morte de honte si mon professeur avait pu supposer ce que j’étais alors… Ce dernier admirait d’autant plus l’apparente sollicitude dont j’étais entourée, qu’il devait lui-même, me disait-il, sa carrière à un être aussi généreux que mystérieux, — « J’étais possédé du feu sacré, — me disait l’artiste, — mais pauvre, inconnu, sans ressources ; les moyens d’étudier me manquaient, car c’est à peine si j’avais du pain. Un jour je vois entrer dans ma mansarde un homme assez âgé, mal vêtu, à l’air dur, à la parole brusque, au regard pénétrant ; ses questions me prouvent qu’il connaît toutes les particularités de ma vie, de ma vocation, et le résultat de sa visite est l’assurance d’une pension qui, en effet, m’a donné les moyens d’étudier, de travailler, de me produire… et de me faire un nom ; malheureusement pour ma reconnaissance, je n’ai vu mon mystérieux bienfaiteur que cette seule fois… — Mais savez-vous au moins son nom ? — dis-je à l’artiste, qui me répondit : — Il m’a dit se nommer monsieur Just, et l’homme d’affaires chez qui je touchais ma pension n’a jamais voulu m’en apprendre davantage sur cet homme singulier. »

— Monsieur Just… — s’écria Bamboche en interrompant Basquine, — voilà qui devient fort étrange…

— Pourquoi cela ? lui demandai-je.

— Un jeune peintre, que j’ai connu dans mes jours de prospérité, et qui est maintenant illustre, m’a raconté qu’il devait aussi sa carrière au généreux appui d’un protecteur mystérieux, et qui se nommait monsieur Just.

— Sans doute, c’est le même ! — m’écriai-je.

— Probablement, — reprit Bamboche, — car, peu de temps après que l’avenir du jeune peintre, le meilleur et le plus honnête gar-