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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/213

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— Ah ! Monsieur…

— Je voudrais mieux récompenser tes soins, ton zèle et ta délicatesse, car… jamais, pauvre garçon… tu n’as osé me demander un argent qui t’était bien nécessaire sans doute ; … si je ne t’en ai pas donné plus tôt, c’est que… tout bonnement, je n’en avais pas… le trimestre de ma petite pension n’était pas encore échu, mais il le sera demain. Voici le reçu que tu porteras à l’adresse qui est indiquée… tu toucheras cet argent pour moi, sauf soixante francs que tu garderas, et tu m’enverras le reste par un mandat sur la poste, à Fontainebleau, au bureau restant.

— Oui, Monsieur… je vous remercie bien, — lui dis-je en prenant le papier.

— Mais j’y songe, — reprit le poëte en souriant, — j’ai une si indéchiffrable écriture, que je ne sais si tu pourras lire l’adresse… Essaye un peu.

Je lus le reçu assez difficilement, il est vrai ; il était ainsi conçu :

« Je reconnais avoir reçu de monsieur Renaud, rue Montmartre, n° 10, la somme de trois cent cinquante francs pour le trimestre échu de la pension que monsieur Just a la générosité de me faire.

« Paris, etc. etc. »

— Ah ! mon Dieu ! — m’écriai-je après avoir lu : — Encore monsieur Just !

— Qu’as-tu donc ? Que veux-tu dire ? — me demanda le poëte,

Et je racontai à Balthazar ce que j’avais appris des autres libéralités de cet homme singulier.

— C’est extraordinaire, — me répondit le poëte d’un air pensif ; — il faut que M. Just soit le diable en personne : je mourais aussi de faim, quand il m’a déniché ; comment savait-il que j’étais orphelin ? que mon pauvre père, le meilleur des hommes, ruiné par une banqueroute, m’avait laissé sans ressources, et qu’avec la rage d’écrire j’avais la conscience d’arriver un jour à me faire un nom à force de travail ? je l’ignore ? ce qu’il y a de certain, c’est que M. Just, qui a bien l’air le plus rébarbatif et le plus brutal du monde, m’est