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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/214

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apparu un beau jour ; qu’après un long entretien où il m’a fait voir qu’il était incroyablement instruit de tout ce qui me regardait, il m’a laissé une lettre pour ce M. Renaud, qui depuis m’a toujours payé cette pension, si utile pour moi et si peu attendue. Je n’ai jamais revu d’ailleurs M. Just ; seulement l’homme d’affaires me disait chaque fois : — « Ça va bien, continuez, vous êtes un garçon laborieux… vous arriverez, on vous surveille, on sait ce que vous faites… » Mon seul désir, — ajouta le poëte en soupirant, — est de voir un jour M. Just, car c’est à lui que je devrai tout… si je parviens…

— Oh ! je l’espère pour vous, Monsieur.

— Et moi aussi… Maintenant… dis-moi… je te sais un brave garçon… écoute mon conseil : Il se peut que M. Robert de Mareuil, qui me remplace dans cet appartement garni… te propose de rester à son service…

— Eh bien ! Monsieur ?

— Eh bien ! n’accepte pas… ne te laisse pas séduire par l’appât du gain… reste ce que tu étais, un bon et fidèle commissionnaire, je ne puis t’en dire davantage… Mais, du reste, — reprit dignement le poëte, — comme jamais je ne désavoue mes paroles, tu pourras dire à M. le comte de Mareuil que c’est moi… entends-tu bien ? que c’est mot qui t’ai donné le conseil de ne pas rester à son service. Allons, mon pauvre Martin, une dernière commission ; porte cette malle aux voitures de Fontainebleau…

Je me sentais tout ému de l’accent affectueux du poëte, et malgré les mille pensées qu’éveillait en moi sa rupture soudaine avec Robert de Mareuil, me souvenant des intérêts de Basquine, je dis à Balthazar :

— Hélas ! Monsieur, vous partez justement lorsque j’ai un grand service à vous demander…

— Quel service, mon garçon ?

— Hier soir. Monsieur, vous avez été témoin du grand malheur qui est arrivé à cette pauvre Basquine.

— Les misérables ! les bélitres ! les ânes ! — s’écria le poëte. — Elle est sublime… elle, sur ce théâtre… c’est une perle… au fond d’une huître…