Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/237

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Basquine reparut, ce fut un enthousiasme général, une véritable ovation. Car, — chose peu commune, — le talent incontestable de Basquine se trouvait à la hauteur des éloges presque hyperboliques qu’en avait publiés l’ami de Balthazar : une fois l’attention publique éveillée sur ce nouveau prodige dramatique, la presse se fit l’écho des louanges que l’on décernait à la jeune actrice. Enfin, Balthazar, fidèle à ses promesses, publia dans le journal de son ami le critique, une Épître à Basquine

Chose étrange, cette épître, véritable chef-d’œuvre, étincelante de verve et d’esprit, sublime d’enthousiasme, et remplie de la plus touchante mélancolie, de la plus noble émotion, alors que le poëte racontait la lutte douloureuse, incessante, d’une jeune fille de seize ans, pauvre, inconnue, isolée, sans appui, ayant à surmonter les obstacles sans nombre dont sont hérissés les abords du plus obscur théâtre, cette épître, ici saisissante comme un roman, ou tendre comme une élégie, ailleurs amère et incisive comme une satire, plus loin folle, bizarre et hardie comme un rêve fantastique ; cette épître, enfin, généreuse comme une bonne action, fut aussi pour Balthazar le signal d’un succès étourdissant… Son talent, jusqu’alors seulement connu de quelques amis, fut publiquement révélé par cette épître, son nom retentit dans toutes les bouches, et ses œuvres jusqu’alors dédaignées, ou plutôt ignorées, commencèrent d’être recherchées, appréciées ainsi qu’elles devaient l’être.

Peu de jours après l’apparition de cette épître, je reçus de Balthazar un joyeux billet ainsi conçu :

« Gloire à toi ! mon digne Martin, ton amie d’enfance est lancée, mon nom fait un train d’enfer, et les libraires se battent à ma porte mais je ne les admets en ma présence que marchant à quatre pattes… tenant entre leurs dents une bourse de sequins d’or (je veux des sequins, c’est vénitien en diable).

« Voilà ma vengeance… elle est simple et digne… sérieusement, mon brave Martin, tout ceci ne serait peut-être par arrivé, si tu ne m’avais pas supplié de faire rendre justice à l’incomparable Basquine… et de lui rendre moi-même hommage ; encore une fois, gloire et merci à toi, mon digne Martin ; tu as fini ce qu’avait com-