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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/254

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À cette proposition inespérée, le jeune homme et sa femme se regardèrent avec une stupeur mêlée de doute, cet avenir leur paraissait trop beau, sans doute.

— Mon Dieu, Monsieur, excusez-moi, — dit le jeune homme d’une voix altérée, — mais… cette offre nous paraît si extraordinaire, que nous n’osons pas y croire ; pourtant tout nous dit que vous nous parlez sérieusement.

— Un instant ! — s’écria mon maître… — voici les conditions : moyennant les quinze cents francs et cette jolie maison, vous serez le médecin du prince et de la princesse de Montbar (leur château touche au bourg), pendant le temps qu’ils habiteront leur terre… située dans le Berri. Vous pourrez d’ailleurs vous faire une clientèle assurée, car à cinq ou six lieues à la ronde, il n’y a dans le pays qu’un officier de santé ignare comme une brute, et qui tue plus de paysans à lui seul que le choléra. Mais, — ajouta le docteur Clément avec amertume, — un officier de santé… c’est bien assez bon pour soigner des paysans… quand ils peuvent le payer ; la loi autorise… ces demi-savoir. C’est tout simple : pain noir pour les pauvres, pain blanc pour les riches… C’est donc la santé, la vie que vous porterez dans un rayon de cinq ou six lieues, jusque-là abandonné aux empiriques, et comme vous êtes bon, très-humain, très-éclairé, vous rendrez d’immenses services à ces malheureuses populations rurales. Un mot encore… Quant à ces dix mille francs, — et le docteur Clément déposa dix billets de banque sur la table du jeune médecin, — vous en payerez l’intérêt en visites gratuites aux pauvres gens et en achat de médicaments hors de leur portée… c’est un placement qu’on m’a chargé de faire… Voici de plus une lettre pour le régisseur du château de Montbar… La maison que vous habiterez est une des dépendances de l’habitation ; tout est arrangé d’avance avec la princesse, sauf votre consentement ; si vous acceptez, vous partirez quand vous voudrez…

— Si j’accepte, Monsieur ! — s’écria le jeune homme en joignant les mains avec ivresse. — Mais si tout ceci n’est pas un rêve… nos vœux les plus chers sont comblés. Ce n’est qu’à regret que nous nous étions décidés à venir à Paris… car…