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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/255

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— Car vous aimez beaucoup la campagne, — reprit le docteur ; — vous et votre ange de femme vous êtes de passionnés botanistes, témoin ce bel herbier que vous aviez tous deux récolté à Montpellier et dont vous vous êtes séparés avec tant de chagrin…

— Mais, Monsieur, — dit le jeune médecin en regardant sa femme avec une nouvelle surprise, — comment savez-vous de tels détails ?

Soudain je vis mon maître pâlir d’une manière effrayante, quoiqu’il parût lutter énergiquement contre la douleur ; ses traits s’altérèrent profondément, soudain il posa sa main sur son cœur comme s’il y eût éprouvé une souffrance aiguë… Semblant faire alors un effort sur lui-même, il dit d’une voix entrecoupée :

— Vous acceptez… c’est convenu… une personne de confiance viendra demain de ma part pour les derniers arrangements…

Et le docteur Clément fit un pas vers la porte.

— Monsieur, — s’écria le jeune médecin, — je n’accepte pas ces inconcevables bienfaits sans savoir…

— Vous ne voyez donc pas que l’émotion me tue… Laissez-moi, — s’écria mon maître avec un accent si impérieux, que le jeune médecin resta muet, immobile, pendant que le docteur Clément sortait précipitamment de la mansarde.

Mon maître fut obligé de s’appuyer sur moi pour descendre l’escalier et de s’arrêter plusieurs fois, posant avec force sa main sur son cœur, comme pour en comprimer les élancements ; sa respiration était saccadée, difficile, on l’eût dit oppressé par une horrible suffocation.

Nous regagnâmes ainsi la voiture ; le docteur y monta, après avoir donné au cocher l’adresse de l’hôtel de Montbar…

— Mon Dieu, Monsieur, — m’écriai-je alarmé, — qu’avez-vous ?

Sans me répondre, mon maître me prit le bras et me repoussa doucement ; je crus comprendre la signification de ce geste, j’attendis en silence la fin de la crise à laquelle mon maître était en proie.

Dès lors, je pressentis vaguement que je venais d’être témoin de l’un des accès de cette maladie incurable, dont le docteur se disait certain de prochainement mourir.

Peu à peu, cependant, sa respiration devint moins difficile, sa pâleur