Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diminua, il me parut moins souffrir. Alors, ne pouvant contraindre plus longtemps mon admiration, en songeant à la généreuse action dont je venais d’être témoin, et à tant d’autres que le hasard m’avait révélées :

— Ah ! Monsieur ! — m’écriai-je, — je comprends maintenant que vous fassiez si impitoyablement payer les riches !

Le docteur Clément, sans me répondre, me fit signe de garder le silence ; il appuya sa tête sur l’un des côtés de la voiture, ferma les yeux, et resta sans mouvement, comme s’il se fût senti brisé, anéanti.

J’examinais en silence cette figure d’un caractère si puissant, si énergique, ce grand front sillonné par tant d’années d’étude et de méditations, cette bouche au contour ferme et sévère ; je ne sais si ce que je venais d’apprendre de l’admirable générosité de mon maître influença mon jugement, mais alors sa physionomie me semblait austère et sereine, comme celle que l’on prête aux sages de l’antiquité.

Mon cœur battait violemment, lorsque notre voiture s’arrêta devant l’hôtel de Montbar.

— Monsieur… vous accompagnerai-je ? — demandai-je au docteur.

— Non… reste là, — me répondit-il.

Et la grande porte de l’hôtel se referma sur lui ; en attendant son retour, je quittai la voiture : poussé par une irrésistible curiosité, j’examinai les dehors de la demeure de Régina. C’était l’un de ces anciens hôtels si nombreux dans ce quartier aristocratique ; la cour devait être immense, car des bâtiments je n’apercevais que les grands toits à pans coupés et presque droits, surmontés de lourdes cheminées de pierres sculptées représentant des trophées d’armes ; à gauche régnait le long mur d’un jardin. Ce mur, formant l’angle d’une rue voisine, se prolongeait en retour ; à son extrémité je remarquai une petite porte par où l’on pouvait sans doute mystérieusement sortir de l’hôtel ; alors me revinrent à la mémoire les faits de dégradation bizarre dont j’avais été témoin lors de mes deux rencontres avec le prince de Montbar : la première dans l’auberge des Trois-Ton-