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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/265

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— Tu vas, en attendant mon retour, mettre au net les premiers feuillets de ce mémoire sur une organisation du service médical, à laquelle je travaille depuis bien des années ; puissé-je vivre assez pour le terminer ! car dans ce malheureux pays, tout languit, tout se démoralise, tout se perd, par le manque d’organisation… Une concurrence impitoyable accoutume les hommes à être impitoyables… aussi, pour parvenir, tout moyen leur est bon ; heur aux forts, malheur aux faibles… — ajouta-t-il en soupirant, puis il reprit : — Une fois la copie de ces pages terminée, tu pourras disposer de ton temps jusqu’à l’heure du dîner.

Et le docteur me laissa seul.

La confiance qu’il m’avait témoignée, à moi inconnu de lui, en me montrant, dès le premier jour, l’endroit où il renfermait des valeurs considérables, me toucha encore plus qu’elle ne me surprit ; sûr de ma probité, je m’étonnais peu que l’on me crût probe : néanmoins, ce dernier trait augmenta encore ma gratitude et ma vénération pour mon nouveau maître
 

Le surlendemain de ce jour-là même se passa une scène doublement intéressante pour moi ; elle complétait dignement l’exposition du caractère du docteur Clément, cet homme d’une si puissante originalité.

J’étais occupé à écrire, sous la dictée de mon maître, la suite de ce plan d’organisaton médicale rempli de vues aussi neuves que pratiques, aussi élevées que généreuses, car il considérait cette immense question au point de vue de l’hygiène et de la santé des populations des villes et des campagnes, lorsque Suzon lui annonça Monsieur Dufour d’Évreux, chargé, disait-il, d’une lettre de Monsieur Just, le fils de mon maître.

— Un ami de mon fils ! — dit vivement le docteur à Suzon. — Introduis-le tout de suite… Ceux-là ont toujours chez moi leurs grandes entrées…

Bientôt je vis paraître un petit vieillard propret, et tiré comme on dit, à quatre épingles. Quoique la mode de la poudre fût passée depuis longtemps, il portait des faces et une petite queue enrubannée de noir