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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/266

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qui flottait sur le collet légèrement blanchi de son habit bleu-barbeau ; une culotte de satin noir et des bas de soie complétaient le costume un peu suranné de ce personnage.

Dès que M. Dufour avait paru, je m’étais, selon mon habitude, retiré dans une pièce voisine, qui n’avait d’issue et d’entrée que par le cabinet du docteur. Celui-ci ayant par mégarde sans doute laissé la porte entrebâillée, j’entendis forcément l’entretien suivant :

— Vous êtes chargé, Monsieur, d’une lettre de mon fils ?… — dit mon maître à M. Dufour.

— Oui, Monsieur le docteur… la voici.

Il se fit un moment de silence pendant lequel mon maître prit connaissance de la lettre ; après quoi il reprit :

— Vous désirez me consulter, Monsieur ?…

— Non, Monsieur le docteur.

— Comment ? — reprit mon maître avec un accent de surprise, — voilà ce que m’écrit mon fils :

« Mon bon père, M. Dufour, l’un des plus grands propriétaires de France, désire te consulter et t’être particulièrement recommandé… Je m’empresse d’accéder à son désir, et je lui remets cette lettre pour toi, te remerciant d’avance de ta bienveillance pour M. Dufour, chez qui j’ai été reçu avec la plus cordiale hospitalité lors des travaux géologiques qui m’ont conduit dans l’une de ses propriétés. Je t’embrasse tendrement. »

Après cette lecture, mon maître reprit :

— Voilà ce que m’écrit mon fils, Monsieur ; je vous suis très-obligé de l’hospitalité que vous lui avez accordée… mais si vous ne venez pas pour me consulter, à quel motif dois-je l’honneur de votre visite ?

— Cette lettre, Monsieur le docteur, n’était qu’un prétexte pour m’introduire auprès de vous.

— Un prétexte ?…

— Pas autre chose… Monsieur le docteur… j’ai huit millions de fortune en biens-fonds.

— Fort bien, Monsieur… Après ?

— Je suis veuf, Monsieur le docteur, et je n’ai qu’une fille de dix-huit ans que j’adore…