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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/309

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de faillir ; puis surmontant mon lâche effroi, songeant aux dernières recommandations du docteur Clément, aux encouragements de Claude Gérard, je résolus de poursuivre ma tâche et de lutter courageusement ; comparant enfin ma position présente, si pénible qu’elle fût, à mes misères passées, alors que, las de souffrir de la faim et du froid, j’avais attendu, espéré la mort au fond de la cave où je m’étais enseveli vivant, il me sembla entendre la voix amie et austère de Claude Gérard me reprocher mon indigne faiblesse, comme un outrage aux jours meilleurs qu’un sort providentiel m’avait récemment assurés,

La cloche du déjeuner sonna et me réunit à mes nouveaux camarades : le maître d’hôtel, le cuisinier, le valet de chambre du prince et les deux femmes de la princesse. Les gens de livrée et d’écurie prenaient leurs repas chez le portier de l’hôtel. Je fus cordialement accueilli par mes compagnons de service ; mademoiselle Juliette, première femme de chambre de la princesse, proposa même de donner le soir chez elle un thé pour fêter ma bienvenue ; il me fut facile de voir à la réserve ou à l’insignifiance des propos tenus à l’office pendant ce premier repas, que l’on n’était pas encore en confiance avec moi. Je crus utile et prudent de faire acte de bon compagnonnage, en offrant à mes convives de me charger des commissions qu’ils pourraient avoir en allant remplir les ordres de la princesse ; Mademoiselle Juliette, la femme de chambre, accepta et me pria, puisque j’allais porter une lettre chez Madame Wilson, d’inviter Mademoiselle Isabeau à venir le soir même prendre le thé avec nous, si elle était libre.

Je me rendis d’abord chez Madame Wilson ; elle occupait une très-élégante maison de la rue de Londres, où se trouvaient les bureaux de M. Wilson, riche banquier américain. Le domestique qui me reçut à l’antichambre me dit que Madame Wilson était sortie ; je lui remis la lettre de ma maîtresse, et le priai de me conduire auprès de Mademoiselle Isabeau, la femme de chambre. Je trouvai cette jeune fille occupée à coudre. Elle était loin d’être belle ; mais elle avait une taille svelte et gracieuse, de magnifiques cheveux et une certaine distinction de manières.

Ayant appris que Madame Wilson était l’amie intime de la princesse, il ne me parut pas sans intérêt de causer avec Mademoiselle Isabeau, qui