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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/34

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À cette heure, où je puis envisager froidement le passé, l’expérience me prouve que presque toujours les gens de cœur qui faillissent, comme je me sentais faillir, s’aveuglent sur leur future ignominie… ainsi que je m aveuglais moi-même, par de folles espérances d’un meilleur avenir, ou par une résolution de suicide expiateur ; mais presque toujours, hélas ! la vanité des espérances est bientôt reconnue, l’heure de la mort sonne… l’heure de cette mort qui doit vous délivrer d’une vie désormais souillée… mais, ainsi que le condamné aspire sans cesse à reculer l’instant du supplice, on ajourne l’expiation… Qu’importe un jour de plus… une semaine de plus, un mois de plus, tant que votre infamie n’est pas découverte ? Un heureux incident ne peut-il pas vous remettre dans la voie du bien ? et vous ne la quitterez plus désormais ?…

Et lâchement vous vous laissez vivre… Mais votre honte est découverte, est publique… Oh ! alors… sans doute, plutôt que le pilori… la mort ! cette mort expiatrice à laquelle vous vous êtes condamné d’avance. La mort ? Pourquoi ! À quoi bon ce tardif et inutile héroïsme ?… N’êtes-vous pas à jamais flétri ? Mieux vaut encore une vie déshonorée qu’une mort déshonorée… et la déchéance est à jamais accomplie, et vous vivez dans votre infamie.

 
 

J’arrivai chez le cul-de-jatte, il m’attendait.

— Tu as fait chou-blanc, — me dit-il en riant aux éclats ; — tu ne me rapportes pas le plus petit homme charitable à empailler ?

— Je serai votre commis, — lui dis-je avec une sombre résolu tion.

— Demain ?

— Demain.

— À la bonne heure, cordieu ! Voilà l’ordre de notre marche : Je comptais que tu me reviendrais ; j’ai trouvé aujourd’hui une fin de bail, un petit appartement tout meublé. Je me suis arrangé pour les meubles ; demain, nous irons le voir ensemble. Tu diras qu’il te convient, tu signeras un bail, le propriétaire est prévenu. Je ferai les conditions avec le traiteur pour tes repas ; tu ne man-