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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/39

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au fond du caveau inachevé, je pris une grosse pierre pour oreiller, et je m’étendis là… pour y attendre patiemment la mort.

Vous le savez, ô mon Dieu ! je pris cette résolution dernière sans haine, sans courroux, sans révolte contre ma destinée… Ces mauvais ressentiments étaient, comme mes coupables résolutions, tombés devant un seul regard de Régina.

Non, je me résolus à mourir, simplement parce que je ne trouvais pas les moyens d’exister…

Parce que je ne voulais pas vivre au prix du déshonneur, comme la pensée m’en était d’abord venue ;

Parce qu’enfin je ne me sentais ni le courage, ni la volonté, ni la force de prolonger vainement la terrible lutte que depuis trois jours je soutenais contre la fatalité de ma position.

Je ne me tuais pas, je ne jetais pas un dernier et furieux anathème sur une société impitoyable ; non, non, vous le savez, mon Dieu !… Résigné, plein de miséricorde et de pardon, j’acceptais, je subissais l’impossibilité matérielle de vivre… de même que l’on supporte avec sérénité une maladie mortelle.

Cette maladie c’était la misère… j’en mourais… mais je ne me tuais pas.

Pour me tuer… je me souvenais trop de mes entretiens avec Claude Gérard sur le suicide, qu’il était loin de considérer comme un crime ; il pouvait au contraire, selon lui, devenir sublime, mais il ne l’admettait qu’avec de grandes réserves.

« — Vouloir vous tuer, c’est vous déclarer à la fois victime, juge et bourreau, — me disait Claude Gérard ; — c’est devant le suprême tribunal de votre conscience, de votre raison, qu’il faut plaider, juger, exécuter votre décision, décision sans appel. Vous ne sauriez donc la méditer avec trop de circonspection, avec trop de gravité ; surtout ne prenez aucune résolution avant d’avoir répondu à ces questions en votre âme et conscience :

« — La somme de vos malheurs dépasse-t-elle la somme des forces humaines ?

« — Votre mort sera-t-elle profitable à quelqu’un ?