Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Vous est-il absolument prouvé que votre vie doit être désormais inutile à vos frères ?

« Songez-y bien ! si misérable qu’il soit, l’homme peut encore rendre bien des services à l’homme. S’il est jeune et fort, il peut avoir à défendre un plus faible que lui ; s’il est intelligent et bon, il peut éclairer et améliorer ceux que l’ignorance rend méchants, enfin il n’est pas de petits services comparés à la stérilité du suicide, lorsque les circonstances ne le rendent pas héroïque, sublime ; une vie oisive et stérile est seule comparable à une mort stérile… »

Je n’avais pas le droit de me tuer… Ma mort, s’il l’apprenait, affligerait profondément Claude Gérard… et ma vie aurait pu être utile à Régina.

Aussi, je ne me suicidais pas… je mourais…

 

De ce soir-là, commença pour moi une sorte d’agonie morale et physique, beaucoup moins douloureuse d’ailleurs que je ne l’aurais cru.

La température de cette cave humide et sombre était presque tiède ; lorsqu’après la première nuit passée dans une sorte de torpeur du corps et de la pensée, je vis poindre la pâle lueur du matin à travers la voûte de mon réduit, j’éprouvai, chose étrange ! une sorte de jouissance à me dire : Je ne sortirai pas… de la journée. Je n’aurai à m’inquiéter ni de mon pain, ni d’un asile.

Ce jour, je le passai dans une immobilité calculée, car j’y trouvai bientôt un froid et complet engourdissement ; le visage tourné vers le mur de la cave, les yeux fermés, je m’absorbai dans le ressouvenir du passé.

Cette longue méditation fut comme un tendre et solennel adieu, adressé du plus profond de mon cœur à tous ceux que j’avais aimés…

Bamboche… Basquine… Claude Gérard, Régina furent tour à tour évoqués par ma pensée de plus en plus affaiblie, car, sur le soir de ce jour, je commençai d’éprouver les douloureuses étreintes de la faim ; heureusement elles réagirent presque aussitôt sur mon cerveau déjà très-épuisé…