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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/53

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en or, c’est convenu et arrêté avec mes libraires. Pas de billets de banque, pas d’écus, mais de l’or, tu comprends bien ?

— Oui, Monsieur.

— Voici une petite boîte qui renfermera très-facilement ces six cents louis… en voici la clef… mets la boîte dans le sac… et défie-toi, Martin… il est de bien habiles filous… ils rôderont autour de toi… prends bien garde ; ces gaillards-là flairent l’or… d’une lieue.

— Soyez tranquille, Monsieur, je ferai bien attention.

Balthazar Roger me donnait ses ordres avec tant de bonne foi, il croyait si naïvement lui-même aux six cents louis futurs, que, malgré bien d’autres déceptions éprouvées déjà, je finissais par partager sa conviction ; mais, hélas ! l’illusion durait peu, et je revenais quelques heures après mon départ.

— J’espère que tu n’as accepté que de l’or ! — s’écriait Balthazar, dès qu’il m’apercevait.

— Monsieur, on ne m’a rien offert…

— Que des billets de banque ? les cuistres !

— Non, Monsieur… mais…

— Des écus donc ? Goujats ! payer la divine ambroisie en gros écus… en vils écus… comme de la mélasse.. ou des pruneaux… les épiciers ! les pleutres !! Il devrait y avoir une monnaie de diamants pour payer les poëtes !

— On ne m’a rien offert du tout, Monsieur, — disais-je tristement.

— Tu n’as pas trouvé les libraires ?

— Si, Monsieur.

— Eh bien ?

— Eh bien ! Monsieur, l’un m’a remis cette lettre ; les autres m’ont dit que, dans ce moment-ci, le commerce n’allait pas… qu’ils ne pouvaient rien publier, et surtout d’un inconnu !

— Les bœufs ! les ânes ! — s’écriait Balthazar ; — ils ne savent pas toute la puissance qui se dégage de l’inconnu ! Bonaparte… avant le siège de Toulon, c’était l’inconnu !… L’inconnu… mais c’est la seule certitude de notre époque ! Enfin… ces Philistins n’ont pas ouvert mes manuscrits ?