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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/61

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Je croyais assez connaître Balthazar pour être sûr qu’il ne prêterait pas son concours à de mauvais ou indignes desseins ; mais j’ignorais le caractère, les antécédents de Robert de Mareuil. Tout ce que je savais de lui, c’est qu’il avait été arrêté trois mois auparavant. — Sortait-il de prison ? Balthazar ignorait-il cette arrestation ? Telles étaient mes pensées du moment.

Il m’importait trop de pénétrer ce que pouvait être Robert de Mareuil pour que je n’étudiasse pas sa physionomie avec la plus grande attention ; je me livrai à cet examen pendant que Robert écrivait et que Balthazar se promenait çà et là dans sa chambre d’un air méditatif.

En observant curieusement Robert de Mareuil, je remarquai seulement alors qu’il portait des vêtements çà et là blanchis ou lustrés par la vétusté ; un chapeau à reflets roux, des bottes éculées, du linge d’une blancheur douteuse. Cependant, tels étaient l’élégance naturelle et l’agrément des traits de ce jeune homme, que je n’avais pas été tout d’abord frappé de la pauvreté de son costume ; sa figure, sans être d’une beauté régulière, avait infiniment de charme et d’expression ; ses cheveux châtains, comme sa barbe soyeuse, ondoyaient naturellement : il avait le port de tête altier, le front élevé, les yeux vifs et hardis, tandis que sa lèvre légèrement pincée son nez droit et effilé semblaient annoncer à la fois la résolution et la finesse.

L’ensemble de ce visage devait inspirer plutôt de l’attrait qu’un sentiment contraire, et cependant, par prévention ou par instinct, à quelques plissements de sourcils, à quelques clignements d’yeux, accompagnés de sourires légèrement sardoniques, dont Robert de Mareuil ne put se défendre en écrivant, sa physionomie me parut à plusieurs reprises trahir je ne sais quoi de faux, d’insidieux et de dur dont je fus vivement frappé.

Je restais silencieux, immobile à la porte, prenant un air et un maintien aussi hébétés que possible, attendant la lettre de Robert de Mareuil, pendant que le poëte, allant et venant dans sa chambre, continuait de mûrir son idée ; enfin elle fut à terme, car, s’arrêtant soudain, il me dit :

— Martin… tu es un honnête et fidèle garçon…