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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/72

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— Oui, — me répondit dédaigneusement le cocher.

Mon intérêt, ma curiosité redoublaient, Claude Gérard m’avait parlé du comte Duriveau avec une telle aversion ; il me l’avait peint sous de si noires couleurs, que mon inquiétude s’augmenta en songeant aux motifs qui pouvaient appeler le comte chez le père de Régina ; car, alors, je me rappelai que l’inconnu du cabaret des Trois-Tonneaux m’avait parlé d’un homme d’un âge mûr qui était aussi son rival auprès de Régina.

Sous l’influence de ce redoublement d’intérêt et de curiosité, je frappai à la porte-cochère ; l’on m’ouvrit. Ne voyant pas de loge de portier, je me dirigeai vers un grand pavillon carré, situé entre cour et jardin. Aussitôt parut, sur les premières marches d’un large perron, ce domestique mulâtre qui accompagnait d’habitude Régina lors de ses voyages pour assister à chaque anniversaire de la mort de sa mère : ce mulâtre était vêtu de noir ; il avait l’air dur et sombre.

— Que voulez-vous ? — me dit-il brusquement en me barrant la porte.

— Je voudrais Monsieur, parler à monsieur le baron de Noirlieu.

Le mulâtre me regarda des pieds à la tête comme s’il eût été surpris de mon audacieuse prétention, et me répondit en me tournant le dos :

— Monsieur le baron ne reçoit personne.

— Mais, Monsieur, j’ai une lettre à lui remettre.

— Une lettre ? — reprit-il en se retournant, — c’est différent… où est-elle ?

— J’ai l’ordre, Monsieur, de ne la remettre qu’à M. le baron lui-même…

— Je vous ai dit que M. le baron ne recevait personne… Donnez-moi cette lettre.

— Impossible, Monsieur… Elle est très-importante, et je ne puis la donner qu’à M. le baron lui-même…

— Si vous ne voulez pas me la donner, mettez-la à la poste, — répondit le mulâtre d’un ton bourru.