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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/8

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— Non…

— Allons donc !

On apporta les mets demandés par le cul-de-jatte ; malgré ses instances, je n’acceptai rien.

— Tu es un drôle de corps, — dit le cul-de-jatte en faisant honneur au repas, — je n’ai jamais vu un invité pareil… au moins, bois un verre de vin.

D’abord je tendis mon verre, espérant qu’un peu de vin ranimerait complétement mes forces ; mais, je craignis que, dans l’état de faiblesse où je me sentais encore, le vin n’agit trop sur mon cerveau, et je refusai.

— Comment ! pas même un verre de vin ? — s’écria le cul-de-jatte.

— Non… je prendrai encore un morceau de pain si vous le permettez…

— Que le diable soit donc ton boulanger, — s’écria le bandit ; — si j’avais su cela…

Puis me regardant presque avec défiance :

— Tu n’es peut-être pas ce que je croyais… tu m’as l’air bien sobre…

— Que pensiez-vous donc de moi ?

— Je t’ai pris pour un crâne qui ne craint rien, et qui à faim… Pour moi c’était une trouvaille, oui… et pour toi aussi… Mais tu ne bois que de l’eau, tu ne manges que du pain… ça me gêne.

— Quand on est sobre, — dis-je au bandit en le regardant fixement, afin de tâcher de deviner sa pensée, — on a le corps plus agile, l’esprit plus sain, et on est meilleur à toutes choses…

— Tu as raison dans un sens… l’ivrognerie peut faire manquer les plus belles affaires… Mais, dis-moi, puisque tu crevais de faim ce matin… ça pourra bien t’arriver encor demain… ou après… si tu n’as pas d’autres banquiers que les voyageurs, dont tu tâcheras de porter les bagages ; je connais l’état… faut faire autre chose avec… pour avoir de l’eau à boire… Allons, un verre de vin ?

— Non.

— Diable d’homme !…

— Écoute… tu es jeune, vigoureux, alerte et crâne… c’est de