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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/7

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On nous conduisit dans un sombre réduit, dont la fenêtre donnait sur une petite cour obscure.

Nous nous attablâmes.

— Qu’est-ce que tu veux manger ?

— Du pain.

— C’est malin… Et puis ?

— Rien… Du pain seulement et de l’eau.

Par une susceptibilité sans doute puérile, je croyais rendre mon action moins honteuse en n’acceptant du cul-de-jatte que le strict nécessaire pour réparer mes forces.

— Comment ! du pain et de l’eau ? — dit le bandit tout étonné. — Est-ce que tu crois que je fais ainsi les choses, et que j’invite un ami pour lui donner un déjeuner de prison ?… Eh ! la fille, une omelette au lard, du bœuf aux cornichons, un morceau de fromage, et deux litres à douze.

Puis se retournant vers moi avec une orgueilleuse satisfaction :

— Voilà comme je traite les amis…

— C’est inutile… faites-moi donner du pain tout de suite… je ne mangerai pas autre chose.

— Voilà une faim carabinée. Eh ! la fille, un croûton…

On apporta un morceau de pain de deux livres au moins… en peu d’instants je le dévorai…

— La fille !… un pain de quatre livres, — dit le bandit d’un air sardonique.

Le pain de quatre livres fut apporté… Quoique apaisée, ma faim était loin d’être assouvie ; mais je craignais que cet excès de nourriture ne me fit mal, je bus deux ou trois verres d’eau, et j’interrompis mon frugal repas.

Peu à peu je me sentis revivre. L’espèce de fièvre dont j’étais atteint se calma, et j’envisageai ma position d’un regard plus ferme et moins désespéré.

Le bandit m’avait silencieusement observé pendant que je dévorais le pain ; il me dit ensuite :

— À la bonne heure, tu as mangé par faim… maintenant tu vas manger par gourmandise.