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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/82

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— Non, Monsieur, ce n’est pas cela, — lui dis-je ; mais ça m’a fait un grand saisissement quand vous m’avez dit ce nom…

— Et pourquoi ? — me demanda Balthazar, pendant que le comte frappait du pied avec une impatience croissante.

— Étant enfant, Monsieur, — répondis-je au poëte, — j’ai connu une petite fille à qui on avait donné ce nom-là… Elle chantait comme un rossignol, et elle dansait comme une fée ; elle était blonde… avec des yeux noirs.

— Fatalité ! — s’écria Balthazar. — Cette merveille d’art, d’expression, de poésie… qui, aujourd’hui obscure encore, éclatera peut-être demain aux yeux de tous comme une bombe lumineuse… Basquine a été saltimbanque ! Robert, il faut aller dès ce soir aux Funambules… Nous la révélerons aux crétins qui l’ignorent, nous lui décernerons un triomphe… une apothéose !  !  !

Robert de Mareuil, poussé à bout par les excentricités de son ami, lui dit d’un ton triste et peiné :

— Balthazar… tu oublies trop qu’il s’agit pour moi d’une affaire… plus que sérieuse.

— Pardon, mon ami, j’ai eu tort, — répondit Balthazar avec un accent pénétré. — Appelle-moi fou, mais non pas égoïste. — Puis, se tournant vers moi :

— As-tu vu le baron ?

— Non, Monsieur.

— J’en étais sûr, — s’écria Robert avec dépit, — c’est le mulâtre qui t’a reçu ?

— Oui, Monsieur… j’ai insisté beaucoup, et le mulâtre m’a…

Puis m’interrompant :

— Vous m’avez recommandé, Monsieur, de bien regarder ce qui se passerait… et de m’en souvenir si je le pouvais.

— Certes… eh bien ! que s’est-il passé ?

— Voyez-vous, Monsieur, ça me brouille de ne pas commencer par le commencement afin de dire les choses à mesure…

— Allons, mon garçon, commence par le commencement, — me dit le poëte, — c’est rococo en diable, mais tu as l’encolure classique… Voyons… dis.