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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/90

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— Mais, ma chère Madame Laridon, c’est impossible, M. Bonin savait bien que je comptais là-dessus, moi…

— Restez là dix heures, parlez moi dix heures, — reprit brusquement la mégère, — ça sera comme si vous chantiez vêpres : le patron a dit non, c’est non !

— Mais alors, — s’écria l’adolescent désolé, — il ne fallait pas qu’il me promit pour aujourd’hui…

— Assez causé, — dit la mégère en croisant ses bras sous son tablier, et restant insensible à toutes les instances du jouvenceau.

— Ça m’est égal, — dit enfin celui-ci avec un accent de désappointement courroucé, — j’attendrai M. Bonin.

La ville femme fit un geste de tête et d’épaules qui semblait dire :

— Faites ce qu’il vous plaira.

Puis m’avisant à la porte où je restais, attendant que l’adolescent eût quitté le comptoir, cette femme me dit :

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— J’apporte une lettre pour M. Bonin, Madame.

— Il va rentrer… vous la lui remettrez, — me répondit-elle brusquement.

Il n’y avait que deux tabourets dans cette boutique, ils étaient occupés par la soubrette et par le chasseur. L’adolescent me parut blessé de ce que le laquais de grande maison ne lui offrit pas le siège qu’il occupait ; mais le chasseur, fort insoucieux de commettre cette grave inconvenance, échangea un regard ironique avec la fringante soubrette, en lui faisant remarquer la rougeur de dépit qui montait au visage du jouvenceau.

De plus en plus surpris de ce que je voyais et de ce que j’entendais, j’examinai cette étrange boutique avec une curiosité croissante. Au lieu d’être riante et gaie, comme le sont habituellement les magasins de ce genre, avec leurs poupées fraîchement vêtues de satin et de paillettes, avec leurs petits ménages étincelants comme de l’argent où leurs chevaux enharnachés d’écarlate et d’oripeaux, cette boutique était d’un aspect sombre et nu ; à l’exception de quelques vieux joujous, fanés, décolorés et poudreux, étalés pour la montre, je ne vis, dans l’intérieur de ce magasin, aucun autre jouet d’enfants ; elle était