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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/91

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garnie, du haut en bas, de grands casiers bruns remplis de poussière.

J’en étais là de mes observations, presque caché dans l’ombre du fond de la boutique, car la nuit s’approchait, lorsque je vis entrer un homme de haute taille, portant de longues moustaches grises sur sa figure bistrée, un col noir, une grande redingote bleue, militairement boutonnée jusqu’au menton, une grosse canne plombée, et un vieux feutre sur l’oreille.

Je ne me trompais pas… c’était le cul-de-jatte. Ses épaisses moustaches, sa tournure militaire, m’avaient tout d’abord empêché de le reconnaître. De crainte d’être aperçu de lui, je me retirai dans l’angle le plus obscur du magasin.

À la vue du bandit, la vieille femme parut sortir tout à coup de son apathie. Elle se leva à demi et s’écria vivement :

— Eh bien ?…

— Ça se gâte, — dit le cul-de-jatte à voix basse. — Il paraît que c’était un loup sous une peau de mouton.

— Comment ? ce n’est pas fini ? — dit la vieille femme d’un ton de reproche.

— Fini !… ah ? bien oui ! fini, — reprit le cul-de-jatte. — Le capitaine aura du fil à retordre…

— Avec un… un poulet pareil, — fit la vieille en haussant les épaules de dédain.

— Je vous dit que le poulet est un coq… — répondit le cul-de-jatte, — un coq bien armé d’éperons, et qui ne se laissera pas manger la tête… C’est moi qui vous le dis…

— Alors, qu’est-ce que vous voulez ? — dit la vieille en grommelant. — À quoi bon venir ici ?

— Le capitaine engage le patron à accepter le tiers… Comme ça… il y aura moyen… de moyenner.

— Le patron n’y est pas, ça le regarde : il écrira ce soir au capitaine, — répondit la vieille.

— Ainsi, c’est convenu, au port d’arme jusqu’à demain, — dit le cul-de-jatte, — je vais en prévenir le capitaine.

— Le patron lui écrira, — reprit la vieille.

Le cul-de-jatte sortit.