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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/109

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d’éléphant, achetés chez le costumier, devaient faire la joie des deux enfants de Jérôme.

Je ne trouvai chez lui que sa bonne et honnête ménagère.

— Ah ! bonjour, Monsieur Martin, — me dit-elle ; — il faudra que vous attendiez mon homme ; il vous avait promis d’être ici à six heures ; mais, pendant les jours gras, vous savez, un fiacre ne s’appartient pas.

— Je n’aurai besoin de lui à la rigueur que sur les huit heures, ainsi nous avons le temps.

— Oh ! il ne manquera pas ; pour vous, il mettrait plutôt ses pratiques au milieu de la rue…

— En attendant, ma bonne Madame Jérôme, permettez-moi d’aller me déguiser dans ce cabinet, et surtout, quand Jérôme reviendra, ne lui dites pas que c’est moi qui suis là ; je veux voir s’il me reconnaîtra.

— Soyez tranquille, Monsieur Martin, ça va être très-amusant… Quel bonheur !

Au moyen d’un miroir, éclairé par une chandelle, retiré dans un cabinet dépendant du petit logis de Jérôme, j’endossai d’abord les habits de Pierrot par-dessus les miens, déjà fort amples, ce qui me fit paraître beaucoup plus gros, et par conséquent beaucoup plus petit que je ne le suis ; puis, à l’aide des couleurs rouge, blanche et noire et de l’huile siccative, Je me tatouai le visage d’une telle manière qu’il devait être absolument impossible de me reconnaitre, et de démêler mes traits sous ces dessins bizarres de couleurs éclatantes ; de plus, j’avais relevé mes cheveux sous un serre-tête, et solidement assujetti sur ma tête une énorme perruque grise, longue, touffue, sur laquelle je plantai mon chapeau de Pierrot.

Je n’oublierai jamais l’émotion singulière que j’ai ressentie durant ces préparatifs si burlesques en eux-mêmes et cependant faits par moi d’une façon sérieuse, réfléchie, en songeant que ce déguisement allait me mettre à même d’accomplir un projet d’une extrême gravité.