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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/111

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chant de moi, et m’examinant de si près, que je sentis son souffle. — Voyons, qui diable ça peut-il être ?

— Comment, Jérôme, vous ne me reconnaissez pas, moi ?… un ami ? regardez-moi donc bien.

— Pardieu, je vous regarde d’assez près ; mais que le diable m’emporte si je peux m’y retrouver au milieu de ces ronds noirs, de ces lignes blanches et de ces croisillons rouges ; ça papillotte tant qu’on n’y voit que du feu.

— Tenez… et de profil ?

— De profil ou de face, je donne ma langue aux chiens, — dit Jérôme, — je renonce…

— Vrai ?…

— Oh ! vrai.

— Mais ma voix ? vous ne reconnaissez pas non plus ma voix ? cherchez bien.

— Que diable voulez-vous que fasse la voix avec une face pareille… ma femme serait fabriquée comme ça, qu’elle me dirait : — c’est moi… ta femme, — que je dirais : Ça se peut, mais je ne sais pas.

— Eh bien ! c’est moi… Martin, mon brave Jérôme.

— Martin… vous… Allons donc ! vous en feriez deux comme lui pour la corpulence, mon gaillard ; et puis, vous êtes plus petit que lui.

— Je me suis bourré sous mon costume ; voilà pourquoi je vous parais plus gros, et partant plus petit, mon brave Jérôme.

— Voyons donc, voyons donc ; — et Jérôme, m’examinant encore attentivement, ajouta : — Supposons que ce soit vous, il faut que je voie un peu si je m’y reconnaîtrai…

Puis, après un nouvel examen :

— Pas davantage, — s’écria-t-il, — vous n’êtes pas Martin ; si vous êtes quelqu’un… vous ne pouvez être qu’un camarade surnommé Tourniquet… Allons, c’est toi, Tourniquet, hein ? avoue-le.

J’étais complétement rassuré ; je devais être méconnaissable aux yeux du prince ; quant à ma voix, comme il ne m’avait pas cent fois adressé la parole depuis que j’étais au service de sa femme, et que je lui avais toujours répondu, comme il convient, presque par monosyllabes, et d’une voix basse et respectueuse, il était impossible aussi qu’il la reconnût.

Je craignis même un instant d’être trop bien déguisé, car Jérôme, s’imaginant que c’était une farce qu’on lui jouait, s’obstinait dans son erreur.