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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/115

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J’étais absorbé dans mes pensées de plus en plus graves à mesure qu’approchait le moment d’agir, lorsque la voiture s’arrêta subitement.

Il y avait un quart d’heure à peine que nous étions partis de la rue du Dauphin.

— Eh bien ! — dis-je à Jérôme en ouvrant une des glaces de devant, — qu’y a-t-il ?

— La voiture de l’autre s’est arrêtée devant la boutique d’un liquoriste, — me répondit Jérôme à demi-voix. — Bon… voilà le Pierrot qui descend… bon… il entre dans le débit de consolation… bon.

— Je comprends, — lui dis-je avec anxiété, redoutant la suite de ces libations.

— En route ! — me dit Jérôme ; — il n’a pas été long à siffler ça… le gaillard a l’habitude.

Et nous continuâmes notre route.

Au bout d’un quart d’heure, nouveau temps d’arrêt.

— Eh bien ! qu’y a-t-il encore ? — demandai-je à Jérôme.

— La voiture de l’autre arrête à une boutique d’épicier…

— Malédiction ! — m’écriai-je.

— Il paraît que ce diable de Pierrot a la pépie, — me dit Jérôme ; — après tout, il a le droit, c’est la maladie des oiseaux.

Puis, une seconde ensuite, Jérôme reprit :

— Le voilà sorti… Il faut qu’il soit breveté pour avaler si vite… En route !

Nous nous étions remis en marche depuis vingt minutes. Je commençais à me rassurer, car j’avais craint de nouvelles stations. Nous étions alors dans la rue du Faubourg-Saint-Martin. Nouvel arrêt.

— Encore ?… — dis-je à Jérôme.

— Cette fois-ci, c’est différent, c’est chez un marchand de vin… le Pierrot a soif, il va se rafraîchir ; après l’eau-de-vie et la liqueur… une bouteille, ça repose.

— A-t-il l’air bien ivre ? — demandai-je à Jérôme avec une anxiété croissante.

— Mais, non, pas trop… tenez, le voilà qui sort… il salue un passant avec beaucoup de respect… il va encore, ma foi, très-droit, c’est à peine s’il festonne… Bon ! le voilà remballé… En route !

Enfin, nous traversâmes la barrière Saint-Martin ; dix minutes après, la voiture s’arrêta devant une porte éclairée de lampions, placés, au-dessus d’un transparent, où je lus écrit en grosses lettres rouges :