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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/133

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gnés de cette scène, étaient parvenus à grand peine à faire une trouée à travers la foule. À leur aspect, ainsi que cela arrive toujours, les plus forcenés de nos agresseurs disparurent ; la foule reflua sur elle-même, et il se fit un grand vide autour de l’escalier, théâtre du combat.

Nous avions été si évidemment provoqués, le sang qui coulait du visage du prince témoignait tellement de la brutalité de l’attaque dont nous étions victimes, que les gendarmes, généralement disposés à arrêter battus et battants, lors des rixes fréquentes dans ces lieux perdus, nous engagèrent à quitter le bal par prudence, et protégèrent notre retraite lorsque nous eûmes payé notre écot et le tabouret cassé.

Ce dénoûment me satisfit pleinement. J’avais craint un instant de me voir arrêté avec le prince ; il eût été obligé de donner son nom, et s’il avait fallu à mon tour me nommer… dans quel mortel embarras me serais-je trouvé !

Du reste, je savais ce que j’avais voulu surtout savoir : — le prince aimait encore passionnément sa femme ; — l’orgueil et la crainte du ridicule l’avaient sans doute empêché d’avouer cette jalousie à Régina et de tenter d’obtenir son pardon. — M. de Monthar cherchait enfin un étourdissement à ses chagrins dans une dégradation honteuse.

Une seule chose pouvait m’intéresser à lui : — la constance de son amour pour Régina. — La persistance de ce sentiment me prouvait que son cœur n’était pas complétement perdu ; j’avais d’ailleurs tant souffert, je souffrais encore presque des même peines, que, plus que personne, je devais compatir à de pareils chagrins ; mais l’orgueil de M. de Montbar, sa mauvaise honte, l’ignoble diversion qu’il cherchait à ses tourments, ne m’inspiraient qu’une dédaigneuse pitié… Cet homme, même amoureux, ne m’offrait aucune garantie, aucune sécurité pour le bonheur à venir de Régina ; j’avais au contraire une foi extrême dans le caractère, dans l’esprit, dans la valeur personnelle de Just ; aussi, ayant en mon pouvoir le moyen presque certain de lever le dernier scrupule qui empêchait Régina de quitter son mari, et de la décider à confier sa destinée à l’amour de Just… à lui à qui elle devrait la réhabilitation de la mémoire de sa mère… j’étais à peu près résolu de faire pencher la balance en faveur du capitaine… Pourtant, songeant à l’extrême responsabilité que je prenais sur moi, je voulus, dans un dernier entretien avec le prince,