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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/134

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m’assurer si véritablement il n’y avait plus rien à espérer de lui. pour le bonheur de Résina.

 

M. de Montbar, sorti de la salle sous la protection des gendarmes, demanda un peu d’eau fraîche pour étancher et laver le sang dont sa figure était couverte ; sa physionomie me parut morne, sombre ; sans doute, la scène dans laquelle il venait de jouer un si pénible rôle, lui était doublement odieuse, parce que, moi aussi, j’avais été acteur et témoin, moi qu’il prenait pour un de ses égaux, moi qui déjà possédais quelques secrets dont la divulgation pouvait lui être si pénible.

— Maintenant, Monsieur, — me dit-il, dès que nous fûmes hors du bal, — vous allez, je l’espère, me dire votre nom… Que je sache au moins, — ajouta-t-il avec amertume, — qui je dois remercier du secours inespéré, sans lequel j’étais écharpé par ces misérables. Une fois ma dette de reconnaissance acquittée, Monsieur… — reprit le prince d’une voix altérée, avec une animation croissante, — j’aurai à vous demander compte… des outrages…

— Monsieur, — dis-je au prince, — permettez-moi de vous interrompre… Il n’est pas prudent de rester à la porte du cabaret que nous venons de quitter… il pleut. Je m’étais précautionné d’un fiacre pour toute la nuit… Faites-moi la grâce d’accepter une place dans le cas où vous n’auriez pas vos gens ici… Je serais trop heureux de vous descendre à votre porte.

— Monsieur, — s’écria le prince, — ne croyez pas m’échapper… il faut que je sache qui vous êtes, et je le saurai.

— Je vous ferai observer, Monsieur, — lui dis-je, — que je cherche d’autant moins à vous échapper, que je vous prie de me faire l’honneur de monter en voiture avec moi…

— Soit, Monsieur… j’accepte… — dit M. de Montbar.

En quelques minutes, nous avions atteint la petite rue obscure dans laquelle m’attendait Jérôme, endormi sur son siège. Je tremblais que, ainsi éveillé en sursaut, il eût oublié mes recommandations, et qu’il ne me nommât de mon nom de Martin. J’allais prier le prince de monter d’abord dans la voiture, comptant éveiller ensuite Jérôme ; mais M. de Montbar, dans son impatience, le secoua rudement, en le tirant par le collet de son carrick.

Mon angoisse fut extrême en entendant le digne cocher bâiller, se détirer, et dire enfin encore tout endormi :