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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/144

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contraste… pourquoi n’avez-vous pas affronté ces lieux infâmes dans un but honorable ?

— Et dans lequel, Monsieur ?

— Dans celui d’étudier par vous-même ces plaies hideuses nées forcément de l’ignorance et de la misère, ces plaies, qu’il vous appartenait, à vous, riche et heureux du monde, de connaître, afin d’employer à les guérir les forces immenses dont vous disposez !

— C’est vrai, — murmura le prince, — Cette idée est grande…

— Oh ! alors, chacune de vos excursions dans ces repaires devenait un acte de mâle vertu, de haute moralité : arracher à la pauvreté, au vice, à la débauche, au crime, quelques-unes des malheureuses créatures déshéritées que vous rencontriez dans ces repaires, c’était faire un bel usage de votre intelligence et de votre fortune… Vous aimez les contrastes, Monsieur, votre passion eût été satisfaite. Seulement, au lieu de la cacher avec honte, vous l’auriez cachée avec orgueil comme vous cachez vos actions généreuses.

— Monsieur, — reprit le prince d’une voix adoucie et pénétrée, — vous m’avez dit que vous étiez mon ami. Maintenant je vous crois… et, quoi qu’il advienne de notre rencontre, j’honorerai toujours dans ma pensée l’homme loyal quia bien voulu me faire entendre ce langage sévère.

— Je vous parle ainsi, Monsieur, certain d’être compris et de vous être utile. Ce n’est pas, croyez-le, pour le vain plaisir de moraliser… Je vous ai soumis cette idée, parce que cette idée réalisée peut vous être d’un secours pratique pour sortir de votre cruelle position…

— Je vous en prie, expliquez-vous, Monsieur.

— Votre intérêt exige que je vous expose votre situation sans ménagements. Vous avez perdu, par votre faute, l’affection si vive, si dévouée, de Mme de Montbar.

— Il n’est que trop vrai, — me dit le prise avec un profond soupir.

— Vous aimez cependant encore votre femme avec idolâtrie.

— Oui… avec idolâtrie… Monsieur… avec idolâtrie…

Et il me sembla que des larmes altéraient la voix du prince.

— Madame de Monthar, vous devez le savoir, Monsieur, est incapable d’une trahison ; jamais elle ne descendra à vous tromper. Mais un jour viendra, et il est proche, où elle vous dira : « — Vous avez tué l’amour que j’avais pour vous… depuis longtemps je ne vous aime plus ; je n’ai, jusqu’ici, aucun reproche à me faire ; mais la vie m’est