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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/15

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Leporello aura fini son histoire, fais-moi penser à te dire quelque chose qui lui fera plaisir…

— Bon… continuez, Leporello.

— Ce matin donc j’avais quitté l’appartement de mon maître pour aller donner un ordre à l’écurie ; le frotteur était resté en haut pendant mon absence. M. de Blinval arrive, on lui ouvre et il entre chez mon maître ; je rentre, l’imbécile de frotteur ne me dit rien, et voilà qu’au bout de dix minutes arrive un commissionnaire avec une lettre de madame de Blinval. C’est très-pressé, me dit le commissionnaire, il faut tout de suite une réponse. Ne me doutant pas le moins du monde que de M. Blinval fût là, j’entre avec ma lettre, et je vois le mari fumant tranquillement son cigare avec mon maître, et riant comme un… bossu.

—Ah ! mon Dieu !

— Comment vous êtes-vous tiré de là, Leporello ? — s’écrièrent les femmes avec intérêt.

— Mais pas trop mal… — dit Leporello avec fatuité, — pas trop mal… Mon maître, me voyant entrer avec la lettre sur mon plateau, tend la main pour la prendre en me disant : — De qui est cette lettre ? — Le mari était si près, qu’il devait nécessairement reconnaître l’écriture… très-reconnaissable… des jambages longs de ça…

— Mais achevez donc, Leporello ; comme vous nous faites languir ! Moi, je suis toute saisie, — dit Juliette.

— Donner un faux nom… ne m’avançait à rien, — reprit Leporello, —la diable d’écriture était toujours là.

— Mais achevez donc, au nom du ciel !

— Reculant alors le plateau hors de la portée de mon maître, et conséquemment hors de la vue du mari, je dis à mon maître en riant : — Je ne peux pas donner cette lettre à M. le baron… devant monsieur le vicomte. — Pourquoi cela ? — me dit mon maître tout bêtement. — Parce que monsieur le vicomte connaît l’écriture de cette lettre, — ai-je répondu en souriant. — Voyez-vous ce drôle de Leporello ? quel aplomb de Frontin ! — dit le mari en riant aux éclats, tandis que mon maître, averti par un coup d’œil de moi, se lève, prend la lettre et la met dans sa poche, après l’avoir parcourue.

— Bravo ! Leporello, — fut-il crié tout d’une voix.

— Pendant le temps que mon maître lisait, — reprit-il, — le mari disait en levant le nez en l’air et en se frottant les jambes devant le feu. — Voyons… je connais l’écriture ?… De qui diable ça peut-il