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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/14

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tel était le menu de tous les jours… mais six fois par mois des dîners… oh ! des dîners dignes du grand Carême… Il est vrai que le lendemain on vendait la desserte aux restaurateurs de moyen ordre… Ces extrêmes n’allaient pas à ma manière de travailler et j’ai déserté… Il y a, du reste, beaucoup de maisons pareilles… — ajouta philosophiquement le cuisinier ; — tout pour paraître… rien pour être…

— C’est comme beaucoup de nos élégants, — reprit Leporello, — je dis élégants, — ajouta-t-il avec suffisance, — parce qu’il n’y a plus que les femmes de notaire ou de ministre qui disent lions ; ces gaillards-là ont un compte de cent francs chez la lingère et de deux mille chez le tailleur… je ne dis pas ça pour mon maître, car après M. le maréchal S***, mon maître est le plus grand homme de linge qui existe. À propos de mon maître, je vous dirai que je lui ai tout bonnement sauvé la vie ce matin… car, sans moi, demain il se battait à mort avec M. de Blinval… et il était tué… aussi vrai que vous avez les plus beaux yeux du monde, Astarté…

— Ah ! mon Dieu ! contez-nous donc ça, Leporello, — dit Juliette.

— Àh çà !… c’est bien entre nous… comme toujours ? — dit Leporello avant de commencer son récit, et se posant carrément devant la cheminée, les deux pouces passés dans les entournures d’un gilet flamboyant, — c’est tout à fait entre nous ?…

— Parbleu ! — lui fut-il répondu tout d’une voix.

— Mon maître, — reprit Leporello, — est, comme vous savez, l’amant de Mesdames de Beaupréau et de Blinval, mais plus communément de madame de Blinval…

— Tiens, de madame de Beaupréau aussi ? — dit la femme de chambre de la marquise d’Hervieux, — c’est donc du fruit nouveau ?

— Du 17 novembre, dans l’après-midi, — répondit Leporello. — J’ai été faire du feu le matin de ce jour-là dans un second petit appartement que mon maître a été obligé de louer à cause de l’augmentation de sa clientèle ; mais pour en revenir à M. de Blinval, il est nécessairement l’ami intime de mon maître, vu que mon maître est l’amant de sa femme.

— Ce n’est pas comme chez nous, — dit la femme de chambre de la marquise d’Hervieux, cette charmante jeune femme blonde que j’avais remarquée sur le perron du Musée. — Monsieur le marquis ne peut pas souffrir M. de Bellerive.

— À propos de ta maîtresse, — dit Juliette à sa compagne, — quand