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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/150

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et je serai seul… Vous qui avez déjà tant fait pour moi… vous que je ne connais pas… mais qui êtes pour moi… un génie tutélaire, vous enfin dont les conseils auront, quoi qu’il arrive, une action décisive sur ma destinée… m’abandonnerez-vous ainsi à tous les hasards, à tous les dangers d’une position aussi difficile que la mienne ?

— Monsieur…

— Oh ! je vous le dis à mon tour, vous êtes ému, je le vois, — s’écria le prince, — aussi vous ne laisserez pas votre ouvrage imparfait… Dans cette voie honorable, glorieuse, mais nouvelle pour moi, que vous venez de me tracer, je ne pourrais sans votre appui marcher que d’un pas mal affermi… et si, malgré ma résolution, je me décourageais, si de nouvelles difficultés s’élevaient, de qui prendre conseil ? Il n’est pas un de mes amis à qui je puisse confier ce qui m’est arrivé pendant cette nuit étrange ; à un frère… même… je ne l’avouerais pas. Et vous m’abandonneriez ?… Non, non, les hommes comme vous sont généreux et compatissants jusqu’au bout. Oh ! n’est-ce pas, n’est-ce pas que je vous verrai encore ?… Et d’avance… je vous le jure sur l’honneur… jamais je ne me permettrai la moindre question sur les causes extraordinaires qui vous ont amené près de moi… mais qu’au moins, j’emporte l’assurance de vous revoir…

— Cela est malheureusement pour moi impossible, Monsieur.

— Ah ! — dit le prince avec un accent de douloureux reproche, — rien ne peut vous toucher.

— Mon émotion vous dit assez, Monsieur, quelle peine me cause le refus que je suis forcé de vous faire… mais si vous le désirez, si vous croyez que, dans un cas grave, mes avis peuvent vous être bons à quelque chose, veuillez m’écrire…

— Vous écrire ! — s’écria le prince, — et à quelle adresse ?

À Paris, poste restante… mettez vos lettres au nom de… de… M. Pierre… je suppose, et je vous répondrai…

— Vous habitez donc Paris ? — dit le prince de Montbar au marquis inconnu.

— Quelque lieu que j’habite, Monsieur… vos lettres ainsi adressées… me parviendront. J’enverrai au bureau de poste tous les cinq ou six jours ; voilà tout ce que je peux vous promettre, Monsieur.

— Ah ! vous êtes impitoyable !… — s’écria le prince ; puis il reprit : — Pardon, Monsieur, pardon… de ce mot qui vous dit mon chagrin… Pardon aussi de tout ce qui a pu vous choquer dans notre entretien ; mais vous ferez la part de la singularité de notre rencon-