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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/157

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mais bientôt, ramené à des pensées plus sérieuses, J’ai écouté moralement, si cela peut se dire, ce qui se passait dans le parloir entre le prince et sa femme, car matériellement je ne pouvais rien entendre ; toute tentative à ce sujet eût été imprudente… Et d’ailleurs… à quoi bon… ne savais-je pas le sujet… presque les termes de cet entretien ?

J’étais là, me disant : À ce moment sans doute Régina doit parcourir ces lettres que j’ai traduites avec tant de peine ; peut-être elle porte ses lèvres à cette petite médaille qui a appartenu à sa mère… peut-être enfin elle lit d’un regard avide le résumé clair et rapide de cette mystérieuse aventure, écrite par moi d’une écriture soigneusement contrefaite.

Je touchais enfin à ce but poursuivi depuis si longtemps. Malgré moi une sorte de rapide hallucination me présentait toutes les phases de mon amour, depuis ma première entrevue avec Régina dans la forêt de Chantilly… jusqu’à aujourd’hui ; en résumant ainsi l’active influence qu’il m’avait été donné d’exercer sur la vie de cette belle jeune femme, si hautement placée, j’ai songé avec une sorte de frayeur que ces joies si pures que je goûte à cette heure, j’avais été sur le point, dans ma sauvage ardeur sensuelle, de les sacrifier à une violence infâme qui m’eût conduit à l’ignominie ou au suicide.

Mais combien j’ai eu à lutter, à souffrir… combien, hélas ! j’aurai à souffrir encore !… car j’aime toujours Régina… je l’aime plus passionnément que jamais. Oh ! cet amour ne finira qu’avec ma vie…

Soudain la sonnette de la princesse a violemment retenti ; j’ai couru au parloir. Au moment où j’allais y entrer, j’ai entendu ces mots dits par Régina à son mari avec entraînement :

— Ah ! Georges le dévouement de ma vie tout entière ne m’acquittera jamais envers vous !

J’ai craint, en entrant aussitôt, de laisser deviner mon émotion, car ces paroles de Régina, ou plutôt le sentiment d’ineffable reconnaissance qu’elles exprimaient, n’était-ce pas au vengeur de la mémoire de sa mère et par conséquent à moi… qu’elles s’adressaient ? Je suis donc resté une seconde derrière les rideaux des portières : puis, les soulevant à demi :

— Madame la princesse a sonné ?

— Oui… attendez… — m’a-telle dit vivement, en ployant en hâte une lettre qu’elle venait d’écrire, Les joues de Régina étaient colorées, ses yeux, humides de larmes, brillaient d’une joie radieuse.

Le prince, debout devant la cheminée, et extrêmement pâle, se