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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/166

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— Mais, Monsieur Johnson…

— Bas les persiennes… pour le gentleman, — me répondit-il, sans plus bouger qu’un homme de cire.

Je compris alors que Monsieur de Noirlieu, me remplaçant dans la berline, l’étiquette voulait que les persiennes, levées pour moi, fussent baissées pour un gentleman, comme disait Monsieur Johnson ; aussi, à la cruelle impatience du baron, je rouvris la portière pour accomplir la formalité voulue ; en suite de quoi la voiture partit subitement comme par la détente d’un ressort ; je montai cette fois modestement derrière… après avoir recommandé au cocher d’aller très-vite, recommandation accueillie d’ailleurs par M. Johnson avec une souveraine indifférence ; il craignait avant tout de désunir, en la pressant, l’allure lente, régulière, admirablement cadencée de ses grands et magnifiques carrossiers ; d’ailleurs, ce précieux cocher savait sans doute ce que j’avais entendu souvent dire à l’hôtel : — « Que rien ne sentait plus son bourgeois, son homme de Bourse ou de négoce, qu’une voiture qui, brûlant le pavé, avait ainsi l’air de courir les affaires, le bon goût voulant au contraire que l’homme de loisir n’eût jamais l’air pressé… »

M. de Noirlieu dans sa dévorante impatience d’arriver auprès de sa fille, dut maudire l’inexorable savoir-vivre de M. Johnson, car nous mîmes plus d’une demi-heure à nous rendre du faubourg du Roule à l’hôtel de Montbar.

Enfin la voiture entra dans la cour, j’ouvris la portière à M. de Noirlieu ; il monta si rapidement l’escalier que j’eus à peine le temps de le rejoindre, et de le précéder chez la princesse. J’arrivai cependant encore à temps pour pouvoir annoncer avec un sentiment de glorieux bonheur :

— M. le baron de Noirlieu.

— Mon père… — s’écria Régina en voyant entrer M. de Noirhieu, — et elle se jetait dans ses bras au moment où j’ai laissé retomber les rideaux des portières.