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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/174

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force. Je ne peux que le dire : Grâce… Oui !… oh oui ! vous avez été bon, vous avez été noble, courageux comme toujours.

— J’ai été bon, noble, courageux, parce que je savais qu’une faute te causerait des remords… si affreux, que mon amour même serait peut-être impuissant à les calmer… voilà ce qui m’a donné force et courage… Mais, à cette heure, nous pouvons être libres, heureux… sans remords pour toi ! Mordieu ! je ne jette pas ainsi mon bonheur au vent ! Tant pis… L’amour pour tous ! chacun pour son cœur !… tu m’as rendu d’un égoïsme féroce en amour, et puisque ton mari te rend ta liberté…

— Mis c’est sa générosité qui m’accable.

— Sa générosité ?… ah ! pardieu ! elle est grande ! Que pourrait-il donc faire ? Voyons ! tu ne l’aimes plus… Heureusement, devant cela, tombent ces contrats, ces chaînes prétendues indissolubles, Est-ce au nom de la loi qu’il viendra t’imposer son amour ?… se battra-t-il avec moi ? Eh bien ! après ?… qu’il me tue ou que je le tue !

— Oh ! Just ! pas de ces idées… c’est horrible !

— Enfin, un duel heureux ou malheureux pour lui, changera-t-il sa position ? Il te demande de lui laisser essayer de regagner ton cœur… Quant à cela, je ne peux que te dire encore : M’aimes-tu ?

— Si je t’aime !…

— Alors… à quoi bon cette tentative ?… Est-ce qu’il ne sait pas que tu n’auras jamais l’indignité de lui dire : — Essayez de vous faire aimer, — bien certaine d’avance qu’il n’y parviendra pas.

— Eh ! mon Dieu… — s’écria Régina avec un accent d’angoisse inexprimable, — est-ce que j’éprouverais ces déchirements affreux, si je savais que faire, si, comme vous, je pouvais prendre résolument un parti ?… Ça vous est bien facile, à vous… mais moi je ne le peux pas… comme cela… tout de suite… Surtout quand je songe à…

— Régina, dit Just d’un ton de surprise amère, — vous hésitez…

— Mon Dieu, — s’écria la pauvre créature que j’entendis fondre en larmes, — ne me parlez pas ainsi, ne me regardez pas ainsi… Vous savez bien que je vous aime… Oui, Just, je vous aime éperdument ; mon seul rêve serait de passer mes jours près de vous, toute à vous. Mais je ne peux pas non plus m’empêcher de penser qu’il m’aime aussi, lui… qu’il a bien souffert… qu’il souffre toujours… Il ne peut pas invoquer ses droits pour se faire aimer… je le sais bien… mais enfin ces droits, il pourrait en abuser, me rendre la