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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/194

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vaillante et généreuse femme, à jamais perdue pour moi… par ma faute… oui… par ma faute !!

« La leçon est profitable… mais elle est terrible… Si j’avais commencé comme je finis, si, au lieu de perdre ma vie dans une oisiveté dégradante qui m’a pour toujours aliéné le cœur de ma femme, j’avais agi comme j’ai agi depuis, grâce à vos conseils… Régina eût été… serait fière de moi, à cette heure !

« Adieu, mon ami ; réponse à l’instant, quoique je la sache d’avance… Vous ne pouvez me conseiller un autre parti que celui que je prends.

G. de M. »
 

La lecture de la lettre du prince de Montbar m’a fait éprouver un sentiment de profonde commisération pour lui ; mais, en même temps, j’ai songé que sa détermination dans laquelle je devais l’encourager, sauvait peut-être la vie de Régina et assurait à jamais son bonheur et celui de Just.

Ce que le prince venait de me raconter de la touchante et courageuse résignation de Madame de Montbar, sa délicatesse poussée jusqu’à l’héroïsme, en cela que liée à son mari par la reconnaissance, elle n’osait ni réclamer cette liberté qu’il lui avait promise s’il ne parvenait pas à se faire aimer comme par le passé… ni lui dire, la pauvre femme, qu’elle aimait toujours Just Clément, qu’elle l’aimait peut-être plus que jamais, en raison même des tourments que lui causait cet amour ; tout cela… je l’avais pressenti, deviné ou vu.

J’avais rempli comme de coutume mon service auprès de ma maîtresse pendant ces quatre mois, et mon habitude d’observation, jointe à l’espèce de prescience que me donnait mon amour, m’avait initié à presque tous les secrets de ce malheureux cœur si cruellement éprouvé…

Je m’étais, d’ailleurs, résolu, dans le cas où cette situation se fût assez prolongée pour me donner des craintes sérieuses pour la vie de Madame de Montbar, je m’étais résolu d’écrire au prince, sous le nom de M. Pierre, que cette vaine épreuve avait assez duré ; si enfin M. de Montbar ne se fût pas rendu à ces conseils, je me serais décidé à lever les scrupules de Régina en la déliant de la reconnaissance qu’elle croyait devoir à son mari.

Dieu soit loué ! je n’ai pas eu besoin de recourir à ces pénibles extrémités. Régina, Just, M. de Montbar, se sont montrés dignes les uns des autres.